PREMIÈRE PARTIE
ÉMISSION
Il n’est pas possible de comprendre l’entrée de N. Sarraute dans la sphère publique de l’opinion, sans faire référence aux conditions d’émergence du « nouveau roman ». En effet, le « nouveau roman » a joué un rôle capital sa trajectoire. Comme elle l’a reconnu elle-même, c’est le « nouveau roman », et les effets qu’il a produits, qui a multiplié les lecteurs. Or, si le « nouveau roman » a fonctionné comme une machine à « faire parler », alors il faut tenter de comprendre les mécanismes qui en ont été au principe. L’on identifie immédiatement la limite sur laquelle bute toute sociologie descriptive à visée de neutralité. En effet, comment faut-il analyser des faits quand il suffit de dire d’eux qu’ils sont arrivés pour les faire exister en tant que faits ? Comment, par conséquent, traiter de manière neutre ce dont la prétention à exister est fait de la neutralité dont on devra faire preuve pour témoigner de sa présence ?
Une solution à toutes ces questions consiste à faire non pas l’histoire de l’émergence de N. Sarraute, et donc du « nouveau roman », mais à faire l’histoire de l’histoire du « nouveau roman ». Car le récit historique le plus neutre laisse des traces dans ce qu’il prend pour objet par le simple fait d’arracher au silence et à l’oubli les objets qu’il sélectionne, instaurant une distinction entre les objets dignes d’histoire et les objets, comme on dit, sans histoire, indignes de toute mémoire.
Le « nouveau roman » est-il vivant ou le « nouveau roman » est-il mort ? Le « nouveau roman » existe-t-il ou non ? Qui appartient au « nouveau roman » ? Telles sont les questions fondamentales qui ont assuré la pérennité des controverses, et qui, dans l’histoire littéraire, ne sont pas absolument inédites.
En 1891, en effet, J. Huret fait paraître son Enquête sur l’évolution littéraire[169]. Cet ouvrage, qui reprend en volume toute une série d’entretiens qui ont paru dans le quotidien L’Écho de Paris de la même année, est une première. C’est à la fin du siècle dernier qu’on invente l’interview et que le mot entre dans le dictionnaire[170]. Les auteurs, qui sont répartis par J. Huret selon des écoles, parlent au journaliste de leurs conceptions et de leurs intentions. Une question est particulièrement récurrente : le chroniqueur se préoccupe de savoir si « le naturalisme est mort ». Les réponses divergent et c’est sans doute là l’essentiel. Rien de tel qu’une « question de vie ou de mort » pour faire débattre le monde littéraire. On comprend mieux le propos d’A. Robbe-Grillet : « nouveau roman, pas mort[171] ! », faisant implicitement allusion au médanien P. Alexis qui s’était exclamé : « Naturalisme pas mort[172] ». Cette longévité du « nouveau roman » semble due, pour partie, à la récurrence des discours funèbres, comme pouvait le dire A. Robbe-Grillet, qui se réjouissait que le mouvement soit régulièrement mis à mort :
Et comment expliquez-vous qu’après tant d’années qu’on nous porte en terre à chaque occasion, il faille inlassablement recommencer la cérémonie de l’exécution et des funérailles[173] ?
Les questions de la « vie » et de la « mort » sont d’une grande vivacité, puisqu’elles s’échelonnent sur plusieurs dizaines d’années. Ainsi, en 1963, K. Haedens diagnostique l’agonie : « Le Nouveau Roman fait encore des soubresauts comme une vieille carpe dans une eau qui s’épuise[174] ». En 1966 : « On annonce périodiquement la mort du nouveau roman. Cependant Robert Pinget obtient le prix Fémina. La question reste ouverte ; mais on peut se demander si elle a été bien posée[175] ». En 1974, K. Haedens repose la question : « Le nouveau Roman n’est-il pas né, est-il déjà mort[176] ? ». Quand, plus définitif, P. de Boisdeffre affirme au même moment : « Le nouveau roman est mort[177] ». En 1976 : « M. d’Ormesson écrivait que le “Nouveau Roman” est aujourd’hui décédé ou à tout le moins moribond”. Le colloque Robbe-Grillet [...] lui donnerait raison, à condition qu’on ait le goût des étiquettes et qu’on accepte de réduire à un simple dénominateur commun un phénomène très diversifié ; mais le développement de l’œuvre de Butor, de Simon, le dernier roman de Nathalie Sarraute nous invitent à plus de prudence dans les constats de décès[178] ». En 1986 : « Cette littérature de laboratoire dont le remuement de flacons, l’aspiration de pipette, est en passe, grâce à Dieu, de s’éteindre avec les derniers soupirs des doctes[179] ». En 1994, enfin, J.‑L. Ézine titre : « Qui a tué le Nouveau Roman[180] ? »
Mais ce serait faire preuve de myopie que de considérer les critiques comme les seuls générateurs des controverses touchant à la vie ou la mort du « nouveau roman ». En effet, auteurs et éditeur n’ont jamais cessé de les alimenter et de les relancer. Ainsi, en octobre 1982, A. Robbe-Grillet lance lors d’un colloque à New York en présence de N. Sarraute, C. Simon et R. Pinget :
Il y a huit jours, je croyais que le « nouveau roman » n’était plus qu’un mythe. Depuis 48 heures, c’est formidable, nous sommes plus vivants que jamais[181].
Quelques années plus tard, il jubile de cet état de fait dans Les Derniers Jours de Corinthe :
Voilà pourtant un bon tiers de siècle que les revues, magazines spécialisés ou journaux populaires rassemblent avec constance ces noms-là aux côtés du mien, parlent à leur sujet du Nouveau Roman (même si c’est pour répéter, inlassables depuis les années 50, que cette fois-ci en tout cas il est mort[182] !)
J. Lindon et A. Robbe-Grillet ont contribué à créer une « question nouveau roman » qui soit capable de fonctionner comme une matrice de controverses :
En 1957, rendant compte à la fois de Tropismes et de La Jalousie de A. Robbe-Grillet, comme il ne savait probablement pas quel lien établir entre deux livres qui n’avaient rien de commun à ses yeux que leur aspect incohérent, obscur et rebutant, Henriot s’était résolu à titrer son article : « Le nouveau roman » dans le sens de « la littérature telle qu’on l’écrit aujourd’hui ». A. Robbe-Grillet et moi, nous avons eu l’idée d’affubler les deux mots d’une majuscule et d’en faire un drapeau pour les écrivains de la maison[183].
A. Robbe-Grillet a tout fait pour laisser planer le doute sur l’existence effective du « nouveau roman », ce qui était sans aucun doute la meilleure façon de faire parler qui soit[184]. C’est pourquoi, en toute occasion, il jette de l’huile sur le feu en se jouant des joutes :
Ils se trouve seulement que maintenant, certains écrivains se sont groupés pour parler entre eux, ont été groupés par la critique, d’une façon parfois un peu artificielle, parfois au contraire de façon assez convaincante, et l’on a pu en simplifiant les choses dire qu’il s’agissait d’une nouvelle école littéraire[185].
À la controverse, de type historique, visant à décider de la vie et la mort du « nouveau roman » s’ajoute celle, de type ontologique, de savoir s’il « existe » ou non. Là encore, ce type de questionnement n’est pas nouveau. Ainsi J.‑K. Huysmans refusait d’admettre l’existence du groupe symboliste :
Pourquoi [parler des symbolistes] puisque ça n’existe pas. Vous croyez aux symbolistes, vous ? Moi je crois que c’est une immense mystification montée par Anatole France pour embêter les Parnassiens et par Barrès qui en a fait une bonne blague[186].
Mais il se trouve toujours des controversistes pour remettre en cause l’existence des groupes littéraires : « Les vrais naturalistes, les purs, ne sont donc pas six, ni deux, ni un, il n’en existe pas encore[187] » ; ou encore : « Quant aux symbolistes, aux décadents, ils n’existent même pas... il n’y en a pas, je n’en vois pas[188] » ; « Comment le naturalisme peut-il mourir puisqu’il n’a jamais existé[189] » ; « Les symbolistes, ça n’existe pas... Ils ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent[190]. »
Pour le « nouveau roman », les controverses ont fonctionné de la même manière. On rencontre à d’innombrables reprises le refus de considérer que le « nouveau roman » existe :
Car enfin, ces nouveaux romanciers sont loin d’écrire les mêmes livres, de partager les mêmes opinions, loin d’avoir reçu la même formation. S’ils s’assemblent parfois, ils ne se ressemblent guère. Ils ne se retrouvent dans aucun café[191].
C’est par la référence à des fabrications médiatiques que l’on considère comme artificielle l’existence du « nouveau roman » :
Cette année, c’est Esprit qui [...] propose de s’arrêter sur ce que la revue appelle le Nouveau Roman. Je dis bien : sur ce que la revue appelle[192].
Je pense que le Nouveau Roman n’existe pas. C’est une invention des critiques. Certains écrivains que l’on groupe sous cette bannière imaginaire ont beaucoup de talent, d’autres moins[193].
Encore une fois, cette question a été relayée par les acteurs du « nouveau roman » eux-mêmes. A. Robbe-Grillet, pour lequel, le « nouveau roman » n’était qu’« un mythe », qui n’aurait « jamais existé que dans l’imagination de la critique », les écrivains des Éditions de Minuit « ne formant pas du tout une école[194] », a donc tour à tour affirmé et nié l’existence du mouvement. Quant à J. Lindon, il raconte que
le « nouveau roman » est un terme inventé par la critique pour désigner quelques écrivains dont la principale caractéristique — et j’ajouterai la principale qualité — est d’être des tempéraments profondément originaux et différents les uns des autres[195].
De même, la position de N. Sarraute est loin d’être univoque. D’un côté, elle participe à la création continuée du « nouveau roman » :
J. Duchâteau — Le nouveau roman a existé ?
N. Sarraute — Je pense que ceux qui faisaient partie de ce mouvement qui n’avaient entre eux de commun que l’idée d’une nécessité du renouvellement de la littérature, ont tous continué à écrire chacun dans sa voie[196].
Et de l’autre, elle remarque très bien qu’A. Robbe-Grillet et J. Lindon[197] se sont volontairement réapproprié les mots de É. Henriot[198]. Elle ajoute même :
Je n’appartiens pas à l’école du regard. Si j’appartiens au nouveau roman, ce n’est pas en tant que membre de cette école du regard — qui d’ailleurs n’existe pas[199].
Elle pouvait ainsi rabattre l’existence du « nouveau roman » sur la présence de la photographie de M. Dondero qui a contribué à faire « monter en objectivité » le groupe littéraire :
Notre école n’en était pas une, nous parlions de tout, sauf de ce que nous écrivions. Ce qui fit la célébrité de cette réunion d’écrivains très différents fut une photo de notre groupe prise un soir devant les Éditions de Minuit[200].
Cette image partout reproduite du « nouveau roman » a été préméditée. Le caractère organisé de cette photographie a été confirmé par J. Lindon lui-même[201], ainsi que par A. Robbe-Grillet qui affirme clairement qu’elle a été orchestrée par l’éditeur afin de faire école, à la demande d’un journal italien :
Le bruit que l’on faisait autour de nous ayant tout de suite franchi les frontières, un magazine italien voulait faire une photo de la « nouvelle école ». Lindon a donc fait son possible pour nous réunir devant sa porte. En réalité, il n’y avait guère de réunions et pas vraiment d’école, seulement une commune aspiration vers une écriture normalisée, chacun de nous inventant la sienne dans ses livres[202].
C’est malgré tout à un exercice d’objectivation auquel s’essaie J. Ricardou, venu de Tel Quel, en tentant de donner un cadre théorique commun à cette association d’écrivains :
Il faut dire que le Nouveau Roman n’est pas un groupe, qu’il n’y a pas eu une espèce de chef qui aurait à la fois émis des manifestes et décidé des excommunications (je pense au surréalisme et à André Breton), qu’il n’y a pas eu de collectif. Cependant, il y a deux ans, un certain nombre d’écrivains ont accepté de se réunir à Cerisy sous l’égide du Nouveau Roman, et ont accepté de venir travailler avec des critiques, et de prononcer eux-mêmes un certain nombre de conférences. Cette première activité collective est pour le Nouveau Roman, un indiscutable événement historique. Je considère donc que les gens qui ont accepté de travailler ensemble, en n’excluant personne et sans exiger la présence d’aucun autre, ont défini le roman avec la plus grande précision. Cela nous donne un corpus avec lequel on peut travailler[203].
Voilà aussi pourquoi M. Rybalka, après mûre réflexion, tranche la question, après le colloque de New York, en 1982 :
À la suite de ces exposés, où l’on voit une remarquable convergence des points de vue malgré des tempéraments personnels très différents, une constatation s’imposait : le Nouveau Roman existe[204].
Sept ans plus tard, il n’existe plus : « En somme, si le nouveau roman est rigolo, truculent et humain, le nouveau roman n’existe pas[205]. » J.‑L. Ézine note, dans un mouvement pendulaire qui semble perpétuel, qu’il existe à nouveau. Nous sommes en 1994 :
Le Nouveau Roman a bien existé. Il a même été défini avec certitude par Nathalie Sarraute comme une « association de malfaiteurs », à l’occasion d’un colloque sur la jeune littérature française réuni par Marcel Arland au château d’Eu[206].
Aux controverses historiques (portant sur la naissance et la mort), et ontologiques (portant sur l’existence), se sont ajoutées les controverses identificatoires, visant à définir les écrivains qui en sont ou pas. Qui en est ? Qui n’en est pas ? N. Sarraute appartient-elle au « nouveau roman » ou pas ? Et M. Duras, C. Mauriac, P. Gegauff, S. Beckett, M. Butor, C. Ollier ? À la controverse ontologique de l’existence, — être ou ne pas être — il faut ajouter la controverse identificatoire — en être ou ne pas en être — qu’une absence de numerus clausus a rendue interminable :
D’ailleurs qui sont-ils ? Combien sont-ils ? Consacrant en juillet et août 1958 un numéro spécial au nouveau roman, la revue « Esprit » en choisissait dix. [...] Je pense que deux mois plus tard, « Esprit » aurait rajouté à sa liste Claude Ollier qui, avec La Mise en scène. [...] Qui en est, qui n’en est pas[207] ?
L’appartenance de N. Sarraute au « nouveau roman » ne fait pas beaucoup l’objet de discussions ou de disputes, comme c’est davantage le cas avec S. Beckett ou M. Duras.
On ne sait jamais très bien, donc, qui en est et qui n’en n’est pas. Ces questions, par définition, ne peuvent jamais se clore et c’est pourquoi elles fonctionnent si bien. Notons dès à présent que le fait qu’elles ne peuvent pas se trancher n’est pas une décision de notre part, mais la constatation de la persistance de la question qui rend possible une hypothèse descriptive que nous nous contentons de formuler. C’est dire que le fait que le débat soit interminable ne veut pas forcément dire qu’il n’ait pas d’intérêt : un débat interminable désigne négativement une matrice de discours donnant lieu à discussion. L’incertitude qui pèse sur l’appartenance des uns et des autres au « nouveau roman » traduit la mise en crise des valeurs communautaires :
Le succès mondial et obstiné de la formule lâchée avec dépit par M. Henriot mais exploitée avec un génie publiciste par M. Robbe-Grillet est d’autant plus admirable que, hors une éphémère fraternité du refus et un compagnonnage photographique accidentel, ce mouvement sans revue[208], sans chef et sans manifeste a toujours rassemblé des styles, des intelligences et des univers opposés. Le propre du Nouveau Roman est non seulement que chaque auteur a toujours prétendu ne pas en être, mais en outre qu’il prospère sur une imposture originelle. Ce qui n’a jamais empêché les meilleurs écrivains du groupe de faire leur œuvre, chacun pour soi et, surtout, loin des autres[209].
Cette critique illustre pleinement l’installation des mondes littéraire et artistique en ce que N. Heinich a, la première, nommé « régime de singularité[210] ». La référence à ce régime permet de comprendre pourquoi l’existence du « nouveau roman » a toujours été considérée comme problématique. Les paroles d’A. Breton montrent parfaitement le basculement de l’« identité de nous[211] », caractérisant l’époque surréaliste, à l’« identité de je » du nouveau roman :
M. Chapsal — Vous dites toujours « nous » et rarement « je ». Pourquoi cela ?
A. Breton — J’ai toujours beaucoup plus compté sur l’action collective que sur l’action individuelle. Une fois constaté l’accord initial sur un certain nombre de principes, j’estime que les différences de complexion entre les individus sont un levain des plus puissants. Ce qui a pu s’accomplir sous le nom de surréalisme n’a été possible que grâce à cette composition des forces de plusieurs [...].
M. Chapsal — N’ambitionniez-vous pas, à partir de ce moment-là [c’est-à-dire au moment de la parution des Champs magnétiques avec P. Soupault], la création d’une œuvre personnelle ?
A. Breton — Je ne voyais pas les choses ainsi[212].
Ce fait a d’ailleurs été remarqué par J. Busnel :
Gardant la nostalgie du dernier grand regroupement littéraire qui fut le mouvement surréaliste, on a pu imaginer que le Nouveau roman ferait date de la même façon. La solitude de chacun des romanciers a triomphé[213].
Avec le « nouveau roman », de telles conceptions deviennent impensables et ce n’est qu’avec d’infinies précautions que l’on pourra parler d’un « nous[214] », la priorité étant en effet accordée à la singularité irréductible de l’écrivain, et non la grégarité des collectifs. Et c’est toute la différence qu’il y a eu entre les surréalistes et le « nouveau roman », comme l’indique N. Sarraute :
Il n’y avait pas d’école. Ça n’avait rien de commun avec le mouvement surréaliste, on ne se rencontrait jamais, on ne savait même pas ce que l’autre écrivait[215].
Tout groupe littéraire, depuis le basculement en « régime de singularité », ne peut pas exister sans une tension, qui, paradoxalement, joue un rôle prépondérant dans sa capacité matricielle à faire parler. C’est d’ailleurs ce qu’A. Robbe-Grillet savait très bien, puisqu’en 1994, il relance encore la roue dans ses Derniers Jours de Corinthe :
J’avais rencontré Nathalie Sarraute au printemps de cette année-là [1956] sur la jeune littérature française réunie par Marcel Arland au château d’Eu [...] Nous avons fait le voyage ensemble, Nathalie et moi. Je venais de publier dans Critique un compte rendu[216], à la fois laudatif et réservé, de son Ère du soupçon où plusieurs articles passionnants sur les notions littéraires caduques se trouvaient pour la première fois réunis en volume. La discussion de vive voix avec cet auteur ouvertement révolutionnaire, son intelligence acérée, son humour, m’ont aussitôt convaincu que nous devions faire alliance et que le Nouveau Roman serait donc multipiste : Sarraute était dans la lignée de Proust, Butor de Joyce, Simon de Faulkner. [...] Certes, le Nouveau Roman n’a jamais été une école, encore moins une théorie littéraire d’ensemble. Son existence même en tant que groupement d’écrivains a, depuis le début, été contestée, souvent par ceux-là tout d’abord que l’on considère comme les protagonistes du mouvement. Demandez à Butor, à Pinget, à Duras, à Ollier, même à Sarraute, si leurs livres font partie du Nouveau Roman. Aucun ne l’admettra sans réticence, presque tous voudront aussitôt préciser leurs réserves, plusieurs d’entre eux, (pas toujours les mêmes selon l’époque) opposeront à un tel classement de violentes et totales dénégations. Je ne puis dire que cela m’ait jamais beaucoup dérangé, ni hélas, beaucoup surpris[217].
L’éditeur a également contribué à brouiller largement les pistes en dressant sur les quatrième de couverture des listes de noms à géométrie variable. Ainsi, sur certaines éditions de romans parus en 1957, figure un chassé-croisé de renvois à d’autres auteurs. Par exemple, sur Fin de partie de S. Beckett, l’éditeur renvoie à M. Butor, A. Robbe-Grillet, et R. Pinget ; la même année, sur Rébus de P. Gegauff, sont mentionnés les noms de S. Beckett, M. Butor, A. Robbe-Grillet, R. Pinget et N. Sarraute sous la rubrique « extraits du catalogue ». Sur Une Partie de plaisir (1958) du même auteur, l’extrait du catalogue inclut les précédents et ajoute M. Duras et C. Simon. Sur la quatrième de couverture de Pour un nouveau roman d’A. Robbe-Grillet (1961), on constate les mêmes renvois aux « extraits du catalogue » : S. Beckett, A. Robbe-Grillet, M. Butor, R. Pinget, C. Simon, mais on remarque à chaque fois la présence d’une liste légèrement différente qui n’est accompagnée d’aucun commentaire.
Sur la première édition de La Modification, on trouve une liste d’articles sur le premier tirage (12 octobre 1957) et sur les livres précédents de M. Butor, c’est-à-dire, L’Emploi du temps et Passage de Milan. Dans un autre tirage de la même année[218], figure un titre : « UN “NOUVEAU RÉALISME” ? » Au-dessous : des critiques où il n’est plus question des livres précédents de M. Butor mais du « nouveau roman » P. Sénart y parle d’A. Robbe-Grillet, M. Butor, et C. Simon en mentionnant « un nouveau réalisme » ; É. Henriot évoque les mêmes et parle d’une « École du regard » ; A. Billy reprend les mêmes en ajoutant S. Beckett, quant à F. Jotterand, il ne garde que M. Butor, A. Robbe-Grillet et N. Sarraute ; A. Bosquet ajoute P. Gegauff, M. Blanchot et H. Bessette. G. Picon conserve A. Robbe-Grillet, N. Sarraute et M. Butor[219].
Les désignations ne sont pas unifiées. Les guillemets autour de « nouveau réalisme », ainsi que le point d’interrogation éditorial, laissent planer le doute. L’existence du « nouveau roman » est d’emblée placée dans un régime d’incertitude existentielle. Les critiques ont profité de cet état de disponibilité et c’est aussi la raison pour laquelle on parle abondamment du « nouveau roman » dans toute la presse de l’époque. En juillet-août 1958, paraît un numéro spécial de la revue Esprit qui sera très largement repris dans toute la presse nationale. Il s’intitule : « LE “NOUVEAU” ROMAN ». Les nombreux articles de R. Barthes sur A. Robbe-Grillet rendent effective l’émergence d’une problématique « nouveau roman ». En l’espace de quelques semaines, le « nouveau roman » est devenu une question, un problème à traiter. Les écrivains peuvent désormais se faire décrire. Dans les années 1950-1960, l’idée que le « nouveau roman » « existe » semble assez nettement s’imposer.
Le rapprochement opéré par A. Robbe-Grillet ouvrait un espace différentiel, celui de la comparaison. Cet espace était prêt pour accueillir les comparaisons, principalement entre N. Sarraute et A. Robbe-Grillet. Les critiques se sont divisés entre les deux pôles littéraires incarnés par les figures de N. Sarraute et d’A. Robbe-Grillet comme des produits chimiques dans une électrolyse :
L’œuvre de Nathalie Sarraute est infiniment plus riche et plus ouverte que celle d’Alain Robbe-Grillet[220].
Comme les romans précédents de l’écrivain, celui-ci est une œuvre parfois difficile mais sensible virulente, d’une vérité humaine indéniable, bien éloignée de l’intellectualisme froid qui domine trop souvent les créations des autres tenants du « nouveau roman ». Il y a bien peu de rapports entre l’univers immobile, objectif et superficiel d’un Robbe-Grillet et le monde grouillant, subjectif et subconscient de Nathalie Sarraute [...] Mais alors que l’auteur du Labyrinthe se tournait vers les objets considérés comme la seule réalité solide, la romancière de Portrait d’un inconnu s’efforçait de porter sur l’homme un regard[221].
Les allées et venues entre N. Sarraute et A. Robbe-Grillet ont été facilitées par la spatialisation préalable des doctrines littéraires entre l’« intérieur » sarrautien et l’« extérieur » robbe-grilletien, conforme en cela à la division sexuelle traditionnelle de l’espace :
La polémique qui a mis par exemple aux prises, il y a quelques mois, Nathalie Sarraute et Alain Robbe-Grillet, découvre les deux points de vue extrêmes d’après lesquels un romancier envisage sa prise sur la réalité et forge l’instrument de son art. Robbe-Grillet se meut dans un monde objectal (dont l’homme également fait partie) et c’est ce monde qu’il s’agit de faire revivre dans « sa vérité », non dans celle que lui prête l’auteur ; Nathalie Sarraute voudrait, au contraire, négliger les manifestations tangibles de ce moment (non significatives) pour tâcher d’exprimer ce que les rapports humains ont de proprement inexprimables[222].
En vérité, il y avait, il y a beaucoup d’abus — les malentendus ont la vie dure — à ranger Nathalie Sarraute parmi les Turcs d’alors [c’est-à-dire du « nouveau roman »]. On pourrait même soutenir sans peine que leurs méthodes sont radicalement opposées. Tandis qu’elle se passionne pour ce que nous dissimulons sous les mots, ils s’attachent obstinément à la surface des choses et des objets[223].
Les combinaisons sont en nombre très grand puisqu’il est possible de comparer chaque écrivain du « nouveau roman » avec ses pairs, ce qui fait des dizaines de possibilités, que les critiques accomplissent d’ailleurs :
Il y a des différences accusées entre Michel Butor, Claude Mauriac, Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Claude Simon, quand ce n’est pas des dissensions esthétiques, les œuvres ne se laissent pas ramener à l’unique travail de l’œil froid sur une réalité qui serait matière à description ; ni à l’unique existence de l’objet qui mettrait hors du champ l’humain en son expression psychologique[224].
Nous estimons qu’il n’est pas totalement déraisonnable de penser qu’une bonne part du succès du « nouveau roman » tient au manque d’unité qui le caractérisait et qui n’a pas manqué d’intriguer les critiques qui se sont souvent évertués à débusquer une cohérence sous-jacente. Chacun des auteurs devenait disponible pour une comparaison avec tous les autres. C’est en examinant l’émergence de cette problématique faite espace littéraire qu’on supprime la possibilité de dire que le « nouveau roman » (n’) existe (pas) vraiment. Nous supposons ici que la « vérité historique » est un objet de construction dans lequel se dissipent les incertitudes ontologiques qui ont rapport avec ce type de groupement. Ce n’est pas au sociologue de s’immiscer dans le débat qui consiste à savoir si « oui ou non », le « nouveau roman » existe, car il n’est pas de réponse scientifique à ce genre de question, de même qu’il n’est pas possible de donner une « véritable » définition de « littérature[225] ». N’est scientifique que l’examen de l’émergence d’une question y afférent, pas davantage. Évidemment, on pourrait très bien répondre à chacune de ces questions en disant que le « nouveau roman » en tant que groupe littéraire « n’existe » socialement qu’à partir de 1957, qu’il n’a jamais eu d’existence proprement dite puisque les écrivains ne se réunissaient jamais, que N. Sarraute n’a rencontré C. Simon et R. Pinget qu’en 1982. On pourrait ainsi, à la lumière de ces informations, commodément relire toute la presse et faire un grand sottisier des erreurs proférées à ce propos, constituer une petite galerie des horreurs, et dire, comme A. Simonin, que les Éditions de Minuit ont « créé le mythe du nouveau roman[226] ».
Mais la démarche que nous avons choisi d’adopter est tout autre puisqu’il s’agit de prendre ces questions au sérieux et de leur accorder une place sans les dénoncer comme « mythes ». C’est dire à quel point la difficulté est grande dans un monde où il est impossible de faire une observation qui soit purement « constative[227] » pour la raison que les mots que nous employons pour décrire les choses du monde littéraire sont tous valorisés. Il faut tenter de cerner le point de vulnérabilité critique du « nouveau roman » et décrire les principes sur lesquels « dénonciations[228] » et critiques prennent appui pour formuler leur point de vue. C’est la raison pour laquelle il est impossible de procéder à une dénonciation de la « nature marchande » et du « cynisme », comme le fait A. Simonin, lorsqu’elle disqualifie l’attitude d’A. Robbe-Grillet refusant le terme d’« avant-garde[229] » :
Ce qu’il y a d’étonnant dans [les propos d’A. Robbe-Grillet], ce n’est pas leur « opportunisme » — le chef d’école du Nouveau Roman réclamant à la fois « les bénéfices de la persécution et les profits de la grande diffusion », mais le fait que leur auteur les tienne publiquement en 1957, l’année de l’apparition du « Nouveau Roman ». En ne respectant pas l’une des règles fondamentales du monde littéraire — le déni de l’économique[230], de toute préoccupation commerciale — Robbe-Grillet affaiblit la légitimité de sa révolution esthétique, et ce au moment même où elle est encore très contestée[231].
Quelles sont ces « règles » auxquelles A. Robbe-Grillet est tenu d’obéir, sinon celles du paradigme qui les érige en nécessité ? Les « règles » doivent se dégager d’une observation et non d’un modèle spécifique de rationalité préalable à partir duquel s’enregistrent les écarts fondés à générer un étonnement tel que celui que manifeste A. Simonin : A. Robbe-Grillet n’agit pas conformément au modèle de désintéressement, qui, dit-on, caractériserait les écrivains « autonomes ». La théorie ne tient peut-être pas toutes ses promesses, puisqu’on peut vouloir rendre compatibles l’exigence d’innovation et celle du succès, fût-ce auprès d’un public restreint, comme cela s’est maintes fois produit dans l’histoire[232]. A. Robbe-Grillet, en effet, a toujours pris soin de « ménager » ses lecteurs, par exemple, en saisissant avec quelques précautions l’interprétation barthésienne de l’« objectalité », osée sur le plan théorique, mais risquée en terme de réception, pour exploiter le registre psychologique, beaucoup plus passe-partout, du « sujet », du « subjectif » et de « l’humain[233] ». De même, l’auteur de La Jalousie s’est explicitement soustrait aussi bien à l’impératif de succès (type écrivain commercial) par la vente qu’à l’impératif d’échec (type écrivain maudit) :
Il s’est formé, peu à peu, un mythe du gros tirage, qui est presque aussi fâcheux que le snobisme des chapelles et le parti-pris de la clandestinité. [...] Pour les livres de cette catégorie [c’est-à-dire les livres de « recherche »], [...] il peut aussi exister un large public. Mais il faut le dire franchement : celui-ci est encore virtuel[234].
A. Robbe-Grillet était même disposé à respecter les traditions en ne contestant nullement les valeurs établies. Il gomme lui-même le « r » de sa « révolution » :
On nous a fait dire que nous n’acceptions plus rien de ce qu’il y avait avant nous ; qu’à partir du moment où nous étions entrés en scène, eh bien, tout allait être nouveau ; et que nous-mêmes, nous rejetions dans je ne sais quel néant tous les romanciers qui nous avaient précédés, en particulier ceux du xixe siècle. Et je crois que justement, ça c’est très faux. Car justement, nous avons tout autre chose en commun que ces refus. Ce sont probablement nos ancêtres. La littérature pour nous ne s’est pas arrêtée en 1880. Il y a eu Dostoïevski. Il y a eu Proust. Il y a eu Kafka. Il y a eu Joyce. Il y a eu Faulkner. Il y a eu quantité d’écrivains qui ont déjà fait avancer le roman bien avant nous. Et nous-mêmes, nous n’avions pas l’impression en commençant à écrire que nos romans étaient tellement nouveaux. Nous avions plutôt l’impression de nous situer dans une tradition romanesque, plutôt que l’impression d’avoir fait table-rase de tout ce qui nous précédait[235].
J. Lindon n’a jamais visé la production ésotérique, mais la production « de qualité » susceptible de plaire à un public intellectuel de plus en plus élargi, dû à l’augmentation continue des effectifs des populations étudiantes dans l’enseignement supérieur tout au long du siècle, et plus particulièrement après la guerre[236], tout en ayant recours à des techniques ciblées de marketing, les collections de sciences sociales, de philosophie, ou de linguistique restant, par la généralité des propos, très souvent accessibles au grand public cultivé :
Nous ne ferons sans doute jamais de « best-sellers » de nos livres, mais nous n’avons pas non plus l’intention d’élaborer une littérature pour esthètes. Comme éditeur, ma raison d’être est de contribuer à faire changer le goût des gens. Il y a un résultat notable : devant A. Robbe-Grillet on s’ennuyait en 1957 ; aujourd’hui, on commence à savoir le lire. L’essentiel est de faire l’effort suffisant pour aller à l’œuvre. Il est certain que le snobisme a joué un rôle dans cette évolution ; de même que la radio, la télévision et la publicité[237].
J. Lindon manifeste un sens social aigu en dressant un véritable plan marketing de sa littérature, déterminant une cible, certes restreinte, mais détenant beaucoup de pouvoir, tel celui de faire durer les livres. Les investissements s’échelonnent sur un laps de temps très long, permettent un « retour sur investissement » proportionnel à l’investissement consenti[238]. L’actualisation de la parole évangélique trouve un prolongement inattendu dans la stratégie littéraire : « Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers seront premiers[239] ». Si bien qu’on ne peut pas dire qu’il y a « autonomie » par rapport à la demande, si tant est qu’il puisse jamais y avoir une quelconque autonomie dans la société des hommes, mais bien la détermination d’un marché en fonction d’une demande bien particulière — le public cultivé et diplômé[240]. Cette stratégie est aussi rationnelle que risquée car les investissements consentis sont assez lourds : le pari peut échouer tout aussi bien. Nous croyons que l’étonnement d’A. Simonin provient, non pas du non-respect des « règles » du monde littéraire par A. Robbe-Grillet, mais bien plutôt d’un point aveugle du paradigme qui se révèle incapable de penser ce que dit l’auteur autrement qu’en mobilisant la compromission ou l’incohérence[241]. D’ailleurs, la suite du texte d’A. Simonin est très symptomatique, puisque le comportement de l’écrivain est qualifié d’« aberrant[242] ». La fréquentation de cet auteur doit pouvoir convaincre que le comportement d’A. Robbe-Grillet n’a rien d’aberrant. A. Robbe-Grillet réunit, en effet, toutes les qualités pertinentes pour réussir en littérature que P. Stapfer avait énumérées :
L’intelligence, l’adresse, la connaissance des hommes, la ruse quelquefois, le génie du commerce bien souvent, et toujours, beaucoup d’esprit pratique : voilà des conditions essentielles du succès[243].
De son côté N. Sarraute n’a pas immédiatement revendiqué l’appartenance à l’avant-garde. Elle a toujours pris avec ce terme d’infinies précautions. Elle affirme en 1957 :
Les peintres sont beaucoup mieux organisés que nous. Nous n’avons pas de groupes. Pas de revues. Et si vous [J.‑C. Daven] me mettez dans l’avant-garde, c’est très bien, mais je n’en avais pas du tout le sentiment quand j’ai écrit Portrait d’un inconnu[244].
Le « nouveau roman » pouvait constituer un excellent appareil de « diffusion » des idées d’un certain nombre d’écrivains, mais en même temps pouvait être dénonçable comme un appareil cynique d’accumulation de visibilité. Ainsi, les écrivains du « nouveau roman » doivent une part de leur succès à l’existence du groupe, c’est N. Sarraute qui l’affirme :
Je crois qu’au total elle [mon œuvre] a gagné [avec le nouveau roman]. Parce que j’ai l’impression [qu’autrement], je n’aurais pas eu de lecteurs. Les lecteurs étaient rebutés, terriblement rebutés par ce que j’écrivais et que ça a permis aux livres d’être lus. À partir du moment où ils sont lus, le lecteur en fait ce qu’il veut. Il les connaît. Il a eu prise sur ces livres tandis qu’autrement je crois que je serais restée absolument jusqu’à maintenant totalement à l’écart. Ça a eu une très grande importance, je crois, pour moi et l’activité de Robbe-Grillet et de Jérôme Lindon et les Éditions de Minuit ont été pour beaucoup dans le lancement de ce nouveau roman[245].
Le dispositif social « nouveau roman » a donc présenté un intérêt pour les auteurs. J. Lindon a en effet tenté de mettre en place un « mouvement littéraire » en écrivant à certains critiques pour leur « expliquer » les conceptions partagées par les écrivains de sa maison d’édition. L’efficacité de la démarche est rendue possible par la distance qui sépare l’éditeur de l’écrivain, ce dernier n’étant pas obligé de s’adresser lui-même aux critiques pour les convaincre. Ainsi, A. Billy, évoquant assez en détails la démarche de J. Lindon pour promouvoir les acteurs de sa maison, nous permet de reconstruire le travail de mise en place[246]. Et cette place était vacante, comme pouvait l’écrire A. Billy dans une chronique du Figaro littéraire[247], auquel J. Lindon avait envoyé une lettre lui signalant l’existence de « ses » écrivains[248] :
Force m’est [...] de m’alarmer devant le peu d’animation de notre littérature actuelle. Ayant grandi dans l’atmosphère de bataille qui régnait avant Quatorze, quand s’élaboraient les canons de la beauté nouvelle, les hommes de mon âge se sont habitués à considérer la vie littéraire comme un combat. Les batailles de la « Révolution surréalistes » auxquelles se succédèrent à peu d’intervalles celles de l’existentialisme, ne firent que le confirmer dans l’idée qu’elle est le propre de la jeune littérature française, et ce qui fait qu’elle est dans le monde entier le point de mire de tous ceux qui s’intéressent à la vie de l’esprit, est son perpétuel, son irrésistible appétit de renouvellement [...] l’appétit de renouvellement, où se manifeste-t-il depuis l’effacement de l’existentialisme ? Je n’en vois plus aucun signe. Cet automnal début de saison, favorable à la réflexion, m’incline peut-être trop à la mélancolie. Avec quel plaisir j’accepterais d’être contredit ! que l’on me prouve que je me trompe et qu’une nouvelle équipe, aussi brillante que ses aînées, se tient prêtent à occuper le terrain, je reconnaîtrai mon erreur[249].
Le critique évoque donc « la longue lettre de M. Jérôme Lindon, des Éditions de Minuit » :
À en croire M. Lindon, l’immobilité de notre littérature n’est pas aussi totale que je l’ai dit : quelque chose bouge du côté du roman : « Je ne pense pas me tromper, m’écrit-il, en vous disant que j’assiste ici, depuis quelques années à la naissance, sinon d’une école, tout au moins d’une tendance littéraire nouvelle. » Trois noms en particulier, Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet et Michel Butor, qui d’après M. Lindon, seraient sans rapport avec le surréalisme ou l’existentialisme. [...] Le nouveau réalisme, M. Lindon le définit par deux traits principaux : l’effacement des personnages et l’importance donnée au temps. « Que dire encore de cette tendance ?, m’écrit M. Lindon. Eh bien peut-être qu’elle envisage la littérature comme quelque chose de sérieux, ce qui n’est pas si courant. Ces romans [...] ne s’attachent pas à la relation d’une quelconque anecdote mais s’efforcent d’aborder, sur le plan de l’art, les problèmes des rapports entre l’homme, l’écrivain et le monde. Certes, il s’agit là de tendances ambitieuses, mais toutes les grandes œuvres littéraires modernes, françaises ou étrangères n’ont-elles pas procédé d’une pareille ambition[250] ? »
Pour conclure sur cette question, nous pouvons affirmer que le caractère flou du mouvement, qu’il s’agisse du moment de sa naissance, de son existence, de sa composition, et de sa durée de vie, a fonctionné comme une matrice de commentaires visant à mettre au net ces questions en y répondant. Ce flou a été entretenu par les auteurs et l’éditeur du « nouveau roman ». Il a généré un fantastique appel d’air de mises au point. C’est ainsi que le mouvement littéraire a pris de plus en plus de place, au point de prendre la place de ceux qui étaient déjà en place. Car, pour un mouvement littéraire, prendre place, c’est aussi prendre la place de ceux qui en ont une[251], comme F. Nourissier pouvait le remarquer :
J’ai le sentiment que Robbe-Grillet a découvert un jour que le roman était un produit de consommation. Et qu’en fait de consommation, il y avait la petite consommation et la grande consommation. La petite consommation, il l’avait conquise grâce à quelques critiques à l’affût de la nouveauté. Il veut maintenant la grande consommation. Par malchance la place est prise par Paul Vialar et Michel de Saint-Pierre. Eh bien, Robbe-Grillet voudrait éliminer Vialar et Michel de Saint-Pierre au profit de ses amis et de lui-même[252].
Dans une table ronde organisée par P. Fisson autour des « problèmes du roman », R. Kanters pouvait demander : « Mais, mon cher Fisson, comment réagissent les anciens romanciers quand vous leur parlez du “nouveau roman” ? » Et P. Fisson de répondre : « Ils rigolent un peu jaune[253] ». Effectivement, F. Mauriac (né en 1885) tout en refusant de céder à un quelconque complexe d’infériorité face à N. Sarraute et A. Robbe-Grillet, se qualifiait lui-même de « vieil auteur[254] ».
On voit donc que pour parvenir à prendre place, il faut avant tout « faire l’espace », c’est-à-dire créer un ensemble disponible pour la description, mais nous allons voir que pour y parvenir, il faut aussi « faire le temps », c’est-à-dire, construire la capacité à faire une différence entre des « jeunes » et des « vieux », des « anciens » et des « modernes ».
Il faut revenir très brièvement sur les conditions dans lesquelles s’est opéré le début de l’affaire « nouveau roman », non toujours pour savoir s’il « existe », mais pour tenter de décrire les conséquences que l’instabilité du régime existentiel du mouvement littéraire entraîne. Il n’est pas possible de comprendre le sens que peut revêtir la réception de N. Sarraute sans faire un détour par l’explicitation des mécanismes qui ont été au principe de l’émergence du « nouveau roman ».
C. Charle définit le « groupe » littéraire comme « une structure d’accumulation de capital symbolique et social », c’est-à-dire « comme un instrument essentiel dans la lutte pour la conquête du pouvoir symbolique et la consécration dans le champ littéraire[255] ». Et c’est effectivement après l’émergence du « nouveau roman » que N. Sarraute a commencé à faire l’objet d’une attention particulièrement intense. Avant que « n’existe » le « nouveau roman », N. Sarraute n’avait pas obtenu de succès. Les ventes étaient faibles et les articles de presse presque inexistants. C’est seulement à partir de la publication de L’Ère du soupçon que la visibilité sociale de celle-ci commence à s’intensifier. Les articles de presse deviennent nombreux et se diversifient[256]. On relève un pic presque immédiatement après 1956, date de la parution du recueil de L’Ère du soupçon. C’est aussi au même moment que le volume des tirages augmente considérablement[257].
Le regroupement permet d’occuper une position dans l’espace littéraire, ou plus précisément, c’est le regroupement qui est à l’origine d’un espace vulnérable à la description. Celui-ci engendre des distances esthétiques (par exemple « nouveau roman » vs F. Sagan ou l’existentialisme[258]) ou des proximités (C. Simon est plus proche d’A. Robbe-Grillet que de F. Sagan). De telle sorte qu’on peut affirmer que l’espace structuré est la conséquence du regroupement, et non le lieu dans lequel les écrivains se regroupent. Cet espace structuré est le contraire de ce que pourrait être un chaos, dont on dit justement qu’il est indescriptible parce qu’aucun ordre n’y règne. Ici, en même temps que de l’espace est créé, du temps est également généré. Les groupes littéraires ne se distribuent pas dans le temps à proprement parler, ils fabriquent des ordres dont les conséquences sont l’espace et le temps qui représentent les deux formes a posteriori de la lutte :
Pour que les années se distinguent les unes des autres et que le temps aille dans une direction, il faut créer des situations irréversibles. Il faut qu’on ne puisse plus revenir sur certaines choses. Le temps, c’est-à-dire la distinction des instants, est la conséquence lointaine des actions pour rendre durable une position. Il n’est, il ne peut pas être une cause[259].
Le fonctionnement du monde littéraire participe de la même logique. Ainsi, N. Sarraute pouvait asseoir la solidarité du « nouveau roman » sur
une attitude commune à l’égard de la littérature traditionnelle. C’est la conviction de la nécessité d’une transformation constante des formes et de la liberté totale de leur choix ; c’est la conscience qu’une véritable révolution s’est produite dans la littérature dans le premier quart de ce siècle, et que ces grands révolutionnaires qu’ont été Proust, Joyce, Kafka ont ouvert la voie du roman moderne et que ce mouvement est irréversible[260].
Il faut aller de l’avant, vers l’avenir, et non revenir sur ses pas :
Et rien n’est plus réconfortant et plus stimulant que cette pensée. Ce sera le signe que tout est pour le mieux, que la vie continue et qu’il faut non pas revenir en arrière, mais s’efforcer d’aller plus avant[261].
En faisant émerger l’exigence d’innovation et de rupture avec le passé, N. Sarraute tente de rendre « impossible [le fait] de revenir en arrière[262] ». En dépit de ses déclarations anti-progressistes, s’agissant de l’art, elle allègue l’exigence du progrès, pour déstabiliser ses adversaires néoclassiques, et ce faisant, fabrique ce qui est constitutif de toute révolution, du temps, dans lequel se distribuent nettement des Anciens et des Modernes :
À l’heure actuelle, après tout ce que nous savons, croire encore à l’efficacité des conventions romanesques qui ont servi à construire, voir dans cette œuvre le modèle du roman [...] c’est, me semble-t-il, aller à l’encontre du progrès, paralyser toute recherche, aller à contre-courant de toute la littérature vivante de notre temps[263].
Alors le temps passe[264], et les anciens, si l’on peut dire, trépassent :
Mais, pour la plupart d’entre nous, les œuvres de Joyce et de Proust se dressent déjà dans le lointain comme les témoins d’une époque révolue[265].
Mais surtout, et c’est ce qui est plus précieux que tout, le regroupement, qui a pour conséquence l’espace littéraire, laisse une disponibilité à la controverse descriptive. Personne, heureusement pour les écrivains du « nouveau roman », n’est jamais d’accord pour structurer l’espace de la même façon. Les principes de structuration de l’espace, traité comme une dialectique entre des proximités et des distances, sont en concurrence. La coprésence de ces principes s’objective dans des controverses, qui rendent possible l’existence d’une presse littéraire et d’une histoire littéraire d’autant plus facilement que le propos du « nouveau roman » est lui-même particulièrement historique. On peut dire, de ce point de vue, que le « nouveau roman » fabrique, en même temps que de l’espace, du temps, dans la mesure où tout le monde s’est mis d’accord pour ne pas reproduire les « romans traditionnels[266] ». La recherche de la rupture avec ce que les « modernes » appellent le « roman traditionnel » fait que « avant » et « après » se distinguent radicalement. Et c’est bien ce qui se passe quand N. Sarraute affirme :
Quand j’avais lu Proust pour la première fois, ça m’avait tellement bouleversée que je m’étais dit que ce n’était plus possible de penser à écrire un roman comme on les écrivait avant[267].
Cet « avant » et cet « après » reviennent constamment, et manifestent sous une forme particulièrement exacerbée la temporalité d’une époque caractérisée par l’émergence de la pertinence organisationnelle de mots tels que « avant » et « après », « passé », « futur », « tradition », « modernité[268] ». La temporalité est la conséquence et non la cause de cette répétition, de même que l’émergence de l’idée d’un temps précieux à ne pas gaspiller et la condamnation corrélative de l’indolence, récurrente chez les auteurs du « nouveau roman », se répand historiquement à mesure que les horloges se généralisent[269]. Le refus de la tradition, l’exigence d’innovation ont pour vocation de faire apparaître une différence fondamentale entre le « passé » et le « présent » au nom précisément du temps qui passe, et « parce qu’il passe », justifie qu’on se sépare du passé. Cette valorisation extrême de la « nouveauté » est caractéristique de l’époque contemporaine. Le Moyen Âge valorisait la stabilité et la permanence, faisant, de toute novitas, une faute[270]. Au xvie siècle, l’adjectif « nouvelier » est associé à « changeant » et « inconstant », la « nouvelleté » possède alors une dimension clairement négative : elle renvoie aux troubles, aux désordres, aux soulèvements, à la révolte[271]. C’est pourquoi la Réforme rejette toute idée de novation et revendique la fidélité au passé[272]. B. Pascal, à l’âge classique, la déclare également dangereuse en religion, et rabat sa pertinence sur le seul domaine scientifique[273]. Chez A. Furetière, elle est unie à la fois à la frivolité (« le peuple court après les nouveautés », la nouveauté « [plaisant] et [donnant] le prix aux modes ») et à la dangerosité (« toutes les nouveautés sont dangereuses en matière de religion »). Elle est une valeur de peu de prix (« L’homme nouveau » est « celui qui a fait fortune en peu de temps, qui n’a point de naissance[274] »). Jusqu’au xviiie siècle[275], la notion reste péjorative. Le processus de valorisation ne commence qu’après l’époque révolutionnaire.
La période de l’après-guerre qui nous concerne est propice aux transformations. Les changements de nom de la nrf, par adjonction du mot « nouveau » (de la Nouvelle Revue Française à la Nouvelle Nouvelle Revue Française) traduisent cet impératif de nouveauté, que n’épuise pas la volonté de faire oublier la nrf collaborationniste de P. Drieu La Rochelle[276]. P. Forest rapporte qu’il s’est agi à la création de Tel Quel de faire une « nouvelle nouvelle revue française, ou plutôt une nouvelle nouvelle nouvelle revue française[277]. » Ce n’est donc que récemment que l’impératif d’innovation est devenu un élément primordial des univers artistique et littéraire, pour en constituer un élément de base. Corrélativement, l’ambivalence de la notion d’« originalité » tend à s’émousser, le sens mélioratif de l’emploi adjectival (« être original ») indiquant la singularité, l’emportant sur celui, péjoratif, de l’usage nominal (« être un original ») qui renvoie, lui, à la bizarrerie ou au ridicule[278]. Originalité (au sens de premier) et nouveauté sont disposés à s’intégrer dans une doctrine du temps. Chez N. Sarraute, le discours novateur est caractérisé par une éthique du présent, qui se manifeste non seulement sur le plan de l’exigence artistique, mais aussi sur le plan narratif, avec le privilège accordé au présent et le rejet du passé simple ou de l’imparfait du subjonctif[279]. Cette éthique du présent fait rupture avec l’écriture inspirée. Les Muses, en effet, sont filles de Mnemosyne qui préside à la fonction poétique. L’activité du poète y est orientée vers le passé, le passé primordial et originel, par opposition au devin qui prédit l’avenir[280]. Les Muses répètent ce qu’elles savent, elle n’inventent pas ce qu’elles soufflent au poète[281]. A contrario, on assiste à un refus affiché de l’« imitation de la “tradition” », le rejet de la « copie », de l’imitation, de la reproduction, de la répétition. L’on constate, conjointement, une éthique du futur[282] qui, associée à une éthique du présent[283], construit un temps historique irréversible qui est spécifique des mouvements novateurs[284]. Le temps est toujours la conséquence du rapport aux conditions de vie et aux conditions dans lesquelles se « mesure » le temps[285]. Ainsi, la conception du temps que nous avons est aussi la conséquence des calendriers que nous utilisons pour nous repérer dans le temps[286]. Avec le « nouveau roman » le fait qu’il y ait un « avant » et un « après » est le principe de justification cardinal, principe lui-même d’autant plus fondamental qu’il n’est jamais examiné : c’est un axiome. L’anthropologie fait voir que cette manière d’organiser le temps est particulière :
Une question aussi anodine en apparence que « et après », par laquelle on invite un informateur à situer deux « périodes » l’une par rapport à l’autre dans une durée continue et qui ne fait qu’énoncer ce que le schéma chronologique fait implicitement a pour effet d’induire un rapport à la temporalité[287].
Ainsi « deux moments successifs peuvent être ramenés aux deux termes opposés d’une relation intemporelle[288] ». La structure du temps cyclique[289] qui ne connaît pas de « révolution », accélératrice de temps, se réfléchit dans une « éthique de la conformité[290] », en rejetant, par exemple, l’originalité et en privilégiant l’imitation, fondamentale dans le domaine religieux, chez les chrétiens[291]. À l’inverse, la structure du temps historique se réfracte dans une « éthique de la nouveauté[292] » que partagent N. Sarraute et les auteurs du « nouveau roman »[293]. Or la conformité est le propre de l’univers scolaire qui privilégie les exercices les moins novateurs. C’est ainsi que l’éthique littéraire de N. Sarraute est avant tout une éthique anti-scolaire. L’école est, en effet, tournée vers des savoirs du passé collectivement certifiés, alors que la littérature défendue par N. Sarraute privilégie une recherche tournée vers l’avenir effectuée par un chercheur solitaire. La collision entre, d’une part, le collectif, le passé et l’imitation et, d’autre part, l’individu, le futur et l’innovation ne pouvait être que radicale. C’est la raison pour laquelle N. Sarraute refuse d’aller sur le terrain des valeurs scolaires défendue par D. Sallenave, qui tente de télescoper expérience scolaire et expérience littéraire :
N. Sarraute — J’aimais beaucoup les devoirs de Français, j’étais toujours en train d’imiter un auteur et cela m’emplissait de satisfaction car cela ressemblait à quelque chose qui était bien, mais ce n’était qu’une mauvaise copie d’enfant. C’était ultra-classique.
D. Sallenave — L’imitation, c’est un moyen de se former essentiel. Vous imitiez les sujets ou la manière d’écrire.
N. Sarraute — Oui, uniquement la manière d’écrire que j’appliquais au sujet donné. Je lisais Pierre Loti, Anatole France, Eugène Sue, Hector Mallot, tous les Dumas.
D. Sallenave — C’est peut-être aujourd’hui un peu perdu dans les apprentissages ?
N. Sarraute — On était obligé à Fénelon et à la Sorbonne d’écrire dans le style classique imité du xviiie siècle. J’ai gardé du lycée un souvenir sinistre[294].
Aussi N. Sarraute pouvait-elle enraciner son travail dans le temps, comme pourrait le faire un sociologue qui voudrait d’historiciser les pratiques littéraires :
Il est clair que si j’avais vécu à une époque différente ou dans une autre société, je n’aurais pas été aussi intéressée par cet aspect de la réalité, et même si je l’avais été, je n’aurais trouvé aucun moyen pour communiquer cette expérience particulière[295].
Aussi N. Sarraute a-t-elle tenté d’imposer une définition de l’écrivain dont l’excellence est subordonnée à l’amplitude de la rupture, à l’origine de laquelle le temps est produit[296]. Cette imposition des repères temporels comme principes d’évaluation des attitudes littéraires se manifeste dans tous les « encore » (faire encore des personnages), les « ne... plus » (on ne peut plus écrire comme cela, c’est-à-dire traditionnellement), et dans la récurrence des adverbes « autrefois », « à cette époque-là », « à ce moment-là », qui émaillent tous les propos de N. Sarraute. Les éléments temporels deviennent la pierre de touche de la création littéraire et artistique et font émerger ce que R. Klein a nommé « l’anxiété d’être à l’heure[297] ». N. Sarraute a contribué à imposer l’idée qu’il fallait nécessairement que le roman se « renouvelle », adopte des formes « neuves ». C’est pourquoi cette dernière, de même que les autres auteurs du « nouveau roman », enracinent la justification de leurs écrits et de leur esthétique dans la conviction qu’« on ne peut plus imiter les anciens », puisque cela reviendrait à faire coïncider un geste du présent avec un geste du passé, ce qui est à la fois échec et folie pour toute personne qui fait sienne l’exigence d’innovation. Ainsi la « copie » prend un sens totalement péjoratif. Elle est toujours associée à des images du Musée Grévin. Par une projection du présent sur le passé, N. Sarraute rabat toute l’histoire littéraire et artistique sur cette nécessité d’innovation[298]. Cet anachronisme fondamental permet d’articuler la nécessité de rompre avec le passé et, la plupart du temps, le refus de tout progrès[299], les meilleurs écrivains s’agglomérant dans la communauté intemporelle des « Grands Hommes ». L’expression de la novation radicale ne s’est d’ailleurs jamais faite sans la référence aux auteurs du passé, tels M. Proust, J. Joyce ou V. Woolf. L’impératif d’innovation devient un principe transhistorique non susceptible de variation. Ce qui, pour l’historien de la culture, est évidemment choquant, mais qui ne l’est plus dès lors qu’on essaie de comprendre les conséquences de l’exigence d’innovation sur le plan de la reconstruction du passé par les acteurs. Car il est clair que si l’historien connaît le caractère historique de l’impératif d’innovation ou d’originalité[300], il n’a pas à brandir ses informations pour faire justice à son objet en dénonçant le caractère fallacieux de ces reconstructions rétrospectives dont la fonction est non pas d’énoncer la vérité historique mais de justifier la démarche adoptée dans le présent. Aussi N. Sarraute peut-elle parler de la « lutte traditionnelle contre la tradition[301] », allusion au livre de H. Rosenberg paru un an plus tôt, La Tradition du nouveau[302] et transformer la nécessité historique d’innover en invariant transhistorique[303] et qu’a pu illustrer de manière typique, J. Lindon :
D’autres viendront après eux [écrivains du « nouveau roman »] qui accorderont leur écriture à une nouvelle réalité du monde et ne seront ni Balzac, ni Flaubert, ni Kafka, ni Sartre, ni Camus, ni Beckett, ni Robbe-Grillet... mais seront à l’origine d’un nouvel « autre-chose » qui réinventera l’éternité de la création[304].
N. Sarraute partage la vision continuiste de l’exigence discontinuiste de nouveauté :
J.‑F. Kervéan — On parle de postmodernisme... Il n’y aurait plus rien à inventer... En littérature, vous avez supprimé les derniers carcans. Peut-on aller plus loin maintenant ?
N. Sarraute — Oh ! Mais c’est sans fin... dans tous les arts. La littérature est un art comme les autres. C’est sans limites. Je ne peux pas croire que la littérature s’arrêtera[305].
Elle ajoutait ailleurs :
Lorsque paraît une forme nouvelle d’une grande puissance et qui met au jour un vaste domaine inexploré, elle transporte la littérature sur de nouveaux domaines et l’arrache à ceux qui ont déjà été explorés. Elle balaie la vision traditionnelle. Elle crée un prototype autour duquel se formera une nouvelle tradition, qui sera balayée à son tour[306].
Cette préférence accordée au présent a également pour conséquence de reléguer dans le passé certains écrivains pourtant contemporains. C’est ainsi qu’A. Robbe-Grillet pouvait rejeter les romans balzaciens écrits au xxe siècle et « pas du tout des romans de Balzac[307] ». En outre la valorisation du présent permet d’ouvrir des possibilités d’existence que pourrait entacher le « culte excessif de la tradition[308] ». C’est la raison pour laquelle, ici plus que jamais, il faut se garder de tout réalisme temporel par lequel on rabattrait la temporalité des acteurs sur la temporalité épistémique. Les concepts qui désignent les périodes ne sont jamais purement réductibles à leur fonction désignative ou classificatoire pour la bonne raison qu’ici, les concepts descriptifs, tels que « contemporain », « avant-garde » sont également, et même surtout, des concepts évaluatifs[309]. « Contemporain », a un sens strictement classificatoire, lorsqu’il est, par exemple, employé avec des prépositions (de et à), signifiant « simultané », « synchronique[310] ». « Contemporain » s’oppose dans le Larousse du xixe siècle, à « aïeux, ancêtre, neveux, descendant, postérité ». L’emploi absolu plus tardif de « contemporain[311] », dont le sens ne peut être interprétable que par référence à la situation d’énonciation, rapproche non pas des référents, — « Socrate, Platon, Aristophane étaient contemporains[312] » — mais un référent et un énonciateur — « l’art contemporain », c’est-à-dire contemporain de celui qui dit ou écrit le mot contemporain. Le Grand Robert de la langue française traduit un glissement de sens en proposant comme antonyme « ancien » et surtout « vieux », qui est plus volontiers d’emploi péjoratif, et comme synonyme « actuel » et « moderne ». Le Trésor de la langue française propose d’autres antonymes tels que « archaïque », « primitif », qui tous, peuvent, également, connaître des emplois péjoratifs. Le passage de l’emploi discontinu — être contemporain ou pas — à l’emploi continu — être plus ou moins contemporain, être très contemporain — se caractérise par l’apparition du sème axiologique, positif pour les modernistes, négatif pour les traditionalistes[313]. On a demandé dans une enquête auprès d’une centaine de musées d’art moderne : « Considérez-vous que tout art produit aujourd’hui est “contemporain” ? » La plupart des personnes interrogées ont répondu oui et non[314], attestant par là que le sens du mot s’était déplacé, par réification du temps environnant l’énonciateur, glissant d’une catégorie historique à une catégorie générique. Le « roman contemporain » devient un genre en soi[315]. Ceci est d’ailleurs l’option de C. Millet qui ne s’en tient pas à une définition strictement chronologique du terme, mais suggère une définition et une datation du début de la période « contemporaine » en métamorphosant une information chronologique en taxinomie générique[316], et va même jusqu’à poser la question de la limite entre l’art « moderne » et l’art « contemporain ». Mais on pourrait en dire autant d’« avant-garde » dont G. Gadoffre évoquait la complexité d’usage :
Les vagues et les nouvelles vagues se succèdent à un rythme si rapide que le public a peine à suivre, à démêler le nouveau de l’ancien, ou même à deviner ce que chaque vague dépose derrière elle. La notion d’avant-garde est elle-même utilisée à des fins si diverses qu’elle crée de nouvelles confusions. Combien d’arrières-gardes maquillées se font passer pour avant-gardes ? Et combien d’authentiques novateurs récusent l’appartenance à l’avant-garde par crainte des voisinages douteux ou par horreur du régiment[317] !
« Contemporain » ou « avant-garde » ont fait l’objet de spéculations intenses. De même, « traditionnel » désigne, et en même temps, assigne à l’historicité certains textes du passé. Dans un de ses articles à L’Express, A. Robbe-Grillet pouvait écrire :
Le raisonnement traditionnel est [...] le suivant : la langue que l’on parle aujourd’hui, dans la bonne société, est sensiblement la même que sous Charles x ; comme d’autre part, le romancier doit — censément — raconter l’âme humaine et que l’âme humaine est de tous les temps, il s’ensuit que le « bon roman » n’a pas de date ! Et l’écriture serait la même, par exemple en 1955 et au début du xixe siècle[318].
Il justifie sa propre pratique en historicisant le fait romanesque. En transformant le genre romanesque, il accomplit la logique immanente de l’histoire :
Les écrivains doivent accepter avec humilité cette marche [de l’évolution], ils doivent l’incarner avec orgueil, en sachant qu’il n’y a pas de « chefs-d’œuvre dans l’éternité » mais seulement des œuvres dans l’histoire[319].
Le « roman traditionnel » devient tel à partir du moment où des « modernes » font relever un certain nombre de textes de cette catégorie particulière. N. Sarraute note elle-même l’historicité de la notion de « tradition », arme de guerre forgée pour faire vieillir certains textes et pour ouvrir et élargir le marché de la novation. Il s’est donc agi de faire place nette en « faisant date », c’est-à-dire en « datant » (voir le « c’est daté » disqualifiant) les autres écrivains[320]. Ainsi, les romanciers du « nouveau roman » « poursuivaient des recherches hors des chemins battus du “roman traditionnel” (mot qu’on se mit à employer[321]). » N. Sarraute y revient en 1966 :
Après la dernière guerre, et tout particulièrement en France, personne ne parlait du roman en terme de révolution, pas même d’évolution. On considérait que le genre devait avoir des formes immuables. [...] Pas plus qu’on ne décrivait le roman comme « traditionnel » : le mot aurait paru prétentieux, voire choquant. En effet, que peut-on entendre par « roman traditionnel » ? C’est ce que je me suis demandé quand j’ai écrit « L’Ère du soupçon », en 1950 [...]. Il n’y avait rien de tel qu’un « roman traditionnel ». Il y avait seulement « le roman »[322].
La « littérature traditionnelle » doit, pour exister, émerger dans une référence à un présent qui en constitue la source sans quoi « littérature traditionnelle » n’est plus que « la littérature ». C’est la raison pour laquelle dire d’un auteur du passé qu’« il appartient au passé » n’est pas une tautologie. La particularisation historique des auteurs du passé ne s’est jamais, chez N. Sarraute, comme chez beaucoup d’autres d’ailleurs, accompagnée d’une mise à distance, en terme de valeur. Ainsi, il devient possible de combiner l’éloignement (temporel) et la proximité (par la grandeur) dans l’institution transcendante de la « République des Lettres[323] ». Ce qu’il nous importe de constater, ce n’est pas que N. Sarraute ait « combattu le roman traditionnel », mais qu’elle ait contribué à produire des catégories de perception temporalisatrice où « traditionnel » et « moderne » deviennent des principes de classement et d’évaluation fondamentaux.
Faire le temps, pour les écrivains du « nouveau roman », revient à déterminer une place temporelle aux autres écrivains. Placer les écrivains dans l’histoire, dans le passé des auteurs qui, s’ils peuvent être dignes d’admiration, n’en sont pas moins rivés à des coordonnées temporelles constamment rappelées dans le rejet de l’imitation et de la conformité. L’aspiration à la nouveauté doit passer par l’historicisation des pairs. Cette historicisation rompt avec une conception de la littérature qui privilégierait la révérence au passé, pour mettre l’accent sur une production « cumulative » distribuée dans une temporalité irréversible dont le présent représente sinon le sommet, du moins l’aboutissement. La construction du caractère irréversible du temps ne peut que s’accomplir dans la répétition systématique de l’irréversibilité[324]. La notion d’« ère » est d’ailleurs emblématique de ce passage du temps que N. Sarraute a tenté de produire en découpant des séquences définissant un avant et un après, cet « après » étant lui-même susceptible de devenir un « avant », à mesure que le temps passe[325].
L’insistance des auteurs du « nouveau roman » sur les données temporelles inscrit ces derniers dans une problématique caractéristique de l’époque moderne où les contraintes de régulation liées à la chronologie sont extrêmes[326]. On peut donc relier la récurrence de l’exigence de l’innovation et du changement à la force structurante des contraintes temporelles qui pèsent sur les individus.
Mais l’imposition du « nouveau roman » risquait de menacer la singularité des écrivains du groupe. Or, N. Sarraute a toujours tâché de conjurer les effets négatifs de l’agrégation en faisant référence à la singularité absolue de sa démarche et de ses textes. C’est donc à la condition de rendre raison des mécanismes de construction de cette singularité que nous pourrons comprendre comment il devient possible d’occuper une place irremplaçable.
[1]. N. Sarraute, propos recueillis par O. de Magny, Archives du xxe siècle, Paris, sfp, film de P. Collin, 1973.
[2]. N. Elias, Engagement et distanciation, Paris, Fayard, 1993 (1983), p. 27.
[3]. J.-C. Passeron, Le Raisonnement sociologique : l’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991, p. 225.
[4]. P. Vaisse, « Du rôle de la réception dans l’histoire de l’art », Histoire de l’art, n° 35-36, octobre 1996.
[5]. Ibid., p. 6.
[6]. Ibid., p. 6.
[7]. Il est à cet égard frappant de voir que certains sociologues se croient obligés de déclarer qu’ils « aiment la musique » s’ils prennent pour objet la musique, ou qu’ils « connaissent bien la littérature », autrement dit qu’ils sont dignes de s’approcher d’elle, d’abord pour autoriser toutes les révélations désenchantantes auxquelles ils vont procéder, ensuite pour conjurer l’angoisse que peut susciter l’accusation de « sociologisme vulgaire ». On ne peut pas comprendre autrement ces déclarations d’allégeance, qui oblitèrent d’emblée toute chance de neutralité dans les questions de valeur. Cf., par exemple, l’avertissement de R. Moulin in P.‑M. Menger, Le Paradoxe du musicien : le compositeur, le mélomane et l’état dans la société contemporaine, Paris, Flammarion, 1983, p. 6 : « Qu’il me soit permis [...] de donner au lecteur une des clés du livre. Le sociologue a toujours une tendance, insupportable et injuste, à s’ériger en une espèce de surconscience au milieu d’un monde auquel il n’appartient pas. Cette tendance, qui n’est pas tout à fait absente dans ce livre, est ici affaire de jeunesse et aussi de vertu, dans l’acception rousseauiste du terme. Les longues conversations que j’ai eues avec l’auteur au cours de son travail de recherche m’ont fait le témoin de son admiration pour l’activité de création. Je sais la fascination qu’ont exercée sur lui ses interlocuteurs et quel ascétique effort lui a demandé la prise de distance que le sociologue s’impose, par exigence de méthode, à l’égard du milieu observé. » On peut se reporter également à J. Starobinski qui, croyant bien faire, adresse à H. R. Jauss un accessit : « Et de même que les énoncés théoriques de Jauss ne se développent pas dans la solitude par rapport aux autres programmes théoriques contemporains, ils ne souffrent pas davantage de cette solitude plus grave encore à laquelle se condamnent tant de théoriciens, lorsqu’ils échafaudent leur système à partir d’un “corpus” minuscule d’œuvres ou de pages effectivement lues. L’expérience littéraire acquise au contact des textes, chez Jauss, est d’une incomparable ampleur. » (J. Starobinski, préface de H. R. Jauss, Pour une Esthétique de la réception, Paris, Gallimard, « Tel », 1990 (1978), p. 9).
[8]. D. Bloor, Socio/logie de la logique, trad., Paris, Pandore, 1982 ; « Remember the “strong programme” ? », Enquête, n° 5, p. 55-68.
[9]. J. Goody, La Raison graphique : la domestication de la pensée sauvage, trad., Paris, Éd. de Minuit, 1977.
[10]. Cf. B. Latour, M. Callon (s.l.d.), introduction à La Science telle qu’elle se fait, Paris, La Découverte, 1991 ; B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes : essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1994. Il n’est, en outre, pas une ligne de l’introduction programmatique de S. Shapin et S. Schaffer, Leviathan et la pompe à air (Paris, La Découverte, 1993 (1985), p. 9-28), que nous ne pourrions reprendre à notre compte.
[11]. Nous nous situons à l’opposé de ce que peut exposer J. Dubois qui revendique le statut de critique, « Pour une critique littéraire sociologique », in R. Escarpit (s.l.d.), Le Littéraire et le social, Paris, Flammarion, « Champs », 1970, p. 74. Nous sommes évidemment conscients du fait que nos propres recherches sont historiquement rendues possibles par les leurs.
[12]. Cf. B. Latour, M. Callon (s.l.d.), La Science telle qu’elle se fait, op. cit., p. 24.
[13]. H. Metzger, La Méthode philosophique en histoire des sciences, textes 1914-1939, Paris, Fayard, 1987, p. 38. B. Latour et M. Callon formulent exactement le même diagnostic. Cf. La Science telle qu’elle se fait, op. cit., p. 24.
[14]. B. Latour, M. Callon (s.l.d.), La Science telle qu’elle se fait, op. cit., p. 23.
[15]. Cf. G. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1986 (1938) ; ainsi que les réserves de H. Metzger vis-à-vis de la démarche bachelardienne (La Méthode philosophique en histoire des sciences, op. cit., p. 189-196).
[16]. C’est exactement l’effet que nous fait un ouvrage paru récemment sur la littérature française des années 1930 aux années d’après guerre, qui s’acharne à démontrer que les auteurs collaborateurs n’étaient, pour la plupart, pas de « grands auteurs », ce qui est doublement discutable, premièrement, parce que cette affirmation doit se confronter à d’importants contre-exemples, en particulier L.‑F. Céline, et, deuxièmement, parce que le sens de ce que veut dire « être un grand auteur » s’est défini dans ce contexte spécifique. Il est donc, par conséquent, totalement tautologique de montrer que les « bons écrivains » sont les écrivains qui n’ont pas collaboré, et que ceux qui ont collaboré sont ceux qui sont aujourd’hui considérés comme des mauvais écrivains : c’est succomber à un réalisme de la valeur littéraire puisque c’est au cours de cette histoire que s’est construit le sens de ce que signifie « être un texte de valeur », « être un grand écrivain », etc. (Cf. J. Verdès-Leroux, Refus et violences : politique et littérature à l’extrême droite des années 1930 aux retombées de la Libération, Paris, Gallimard, 1996).
[17]. Résumé de C. Leroy, Production et réception des petits poèmes en prose, thèse de Doctorat de 3e cycle, Université de Paris 4, 1984. Pour les références qui suivent, cf. Le cd-rom Docthèse où sont consignés ces résumés.
[18]. R. Salado, Ulysse de Joyce, laboratoire de la modernité : étude de réception comparée dans les domaines français et anglo-saxons (1914-1931), Thèse de Doctorat, Université de Paris x, 1994.
[19]. G. Schrenk, La Réception d’Agrippa d’Aubigné : contribution à l’étude du mythe personnel, Paris, Champion, 1995, p. 5.
[20]. Ibid., p. 48.
[21]. A. Viala nomme « formation » le travail qui consiste à produire les catégories de perception du public. Il constate que les écrivains de l’âge classique l’ont beaucoup pratiquée. Cf. A. Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éd. de Minuit, 1985, p. 124. C’est également ce mot qu’emploie M. Nadeau quand il tente de définir l’écrivain novateur avec son public, cf. « L’évolution du roman », L’Observateur, 31.05.1956.
[22]. D. Rajcic, Les Problèmes de la réception de Miroslav Krleza en France, Thèse de Doctorat de Troisième Cycle, inalco, 1986.
[23]. G. Schrenk, La Réception d’Agrippa d’Aubigné, op. cit., p. 65.
[24]. Ibid.
[25]. A. Leeman, La Réception des œuvres de John Dos Passos en France (1921-1971), Thèse de Doctorat, Université de Paris x, 1993.
[26]. A. Canseco Jerez, Poétique et réception de l’œuvre de Jean Emar au Chili, Thèse de Doctorat, ehess, 1993.
[27]. R. Salado, Ulysse de Joyce, laboratoire de la modernité, op. cit.
[28]. Le thème de l’incompétence de la critique est vieux comme la critique elle-même. Sur la « querelle des compétences » dans le domaine de l’art entre peintres et critiques, les premiers contestant aux seconds le droit de critiquer leurs œuvres, cf. M. Béra, Recherches sur la légitimité et les fondements de la critique d’art dans la presse, op. cit., p. 69.
[29]. M. Chomicz, op. cit.
[30]. J. Hombrecher Ysquierdo, La Célestina en France (xvie-xxe siècles), Thèse de Doctorat, Université de Paris iii, 1989.
[31]. J. Jurt, La Réception de la littérature par la critique journalistique, Paris, J.‑M. Place, 1980.
[32]. C’est en forgeant le concept d’« harmonie préétablie », dans le but de rendre intelligible le mode d’union de l’âme et du corps, que G.W. Leibniz a été amené, le premier, à rejeter sérieusement le concept d’« influence » qui était en vigueur dans les Universités. Si les cartésiens, en effet, postulaient une relation en terme d’« influx physique » entre les deux substances, G.W. Leibniz déclarait, lui, que les influences restaient « inconcevables » et « absolument inexplicables », cf. Considérations sur les principes de vie et les natures plastiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1996, p. 95, 107. C’est précisément par référence à ce principe qui fait l’économie d’une relation phénoménale et historique, qu’E. Cassirer peut postuler la nature d’un lien « purement idéal » entre la philosophie de R. Descartes et la poésie de P. Corneille, et rompre définitivement avec l’idée d’une « influence » réciproque entre les deux auteurs, cf. Descartes, Corneille, Christine de Suède, Paris, Vrin, 1997 (1942), p. 7.
[33]. P. Mertens, « Écrire, pour qui ? », in L. Gauvin, J.‑M. Klinkenberg (s.l.d.), Écrivain cherche lecteur, Paris, Éd. Créaphis, 1991, p. 50.
[34]. B. Pingaud, « Gauche, droite », Les Lettres Nouvelles, 27.05.1959, p. 2.
[35]. N. Sarraute, propos recueillis par J. Mosel, « Les aveux spontanés de Nathalie Sarraute : le monde des limbes », L’Arche, 12.1959.
[36]. R. Abirached, « Sur le roman moderne en France », Le Français dans le monde, iv, 29, 12.1964.
[37]. A. Robbe-Grillet, « L’écrivain, par définition, ne sait pas où il va, et il écrit pour chercher à comprendre pourquoi il écrit. », Esprit, 07.1964. On retrouve le brouillage du clivage droite / gauche dans les rejets de l’art contemporain mis en évidence par N. Heinich, Le Triple Jeu de l’art contemporain, Paris, Éd. de Minuit, 1998, p. 240-243.
[38]. Cf. le titre de Rouge : « Nathalie Sarraute : un grand écrivain révolutionnaire », (31.05.1976).
[39]. N. Heinich, dans le domaine de l’art, en arrive systématiquement à des conclusions du même type. Sur la disjonction entre avant-garde politique et avant-garde esthétique, cf. M. Rebérioux, « Avant-garde esthétique et avant-garde politique : le socialisme français entre 1890 et 1914 », in Esthétique et marxisme, Paris, uge, 10/18, 1974.
[40]. R. Jean, « Un portrait de Nathalie Sarraute », Le Monde, 17.12.1966. Pour d’autres références à l’amour de N. Sarraute pour L.‑F. Céline, cf. N. Sarraute citée par R. Matignon, « Les sous-entendus de Nathalie Sarraute », Le Figaro, 01.10.1976 ; N. Sarraute, propos recueillis par M. Alphant, « Intérieur Sarraute », Libération, 28.09.1989.
[41]. J. Jurt, La Réception de la littérature par la critique journalistique, op. cit., p. 43.
[42]. Sur cet effet d’écrasement, cf. les arguments de N. Heinich, « La sociologie et les publics de l’art », in R. Moulin (s.l.d.), Sociologie des arts, Paris, La Documentation Française, 1986.
[43]. Cf. A. Robbe-Grillet : « Le Monde [qui] m’a toujours esquinté [...] a en somme fait beaucoup pour moi. » (A. Robbe-Grillet, Archives du xxe siècle, film cité). On peut renvoyer à l’histoire de la sexualité de M. Foucault qui adopte la même démarche : « Le point essentiel (en première instance du moins) n’est pas tellement de savoir si au sexe on dit oui ou non, si on formule des interdits ou des permissions, si on affirme son importance, ou si on nie les effets, si on châtie ou non les mots dont on se sert pour les désigner ; mais de prendre en considération le fait qu’on en parle, ceux qui en parlent, les lieux et points de vue d’où on en parle, les institutions qui incitent à en parler, qui emmagasinent et diffusent ce qu’on en dit, bref, le “fait discursif” global, la “mise en discours” du sexe. » (La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 20).
[44]. N. Boileau, Épîtres, x, Œuvres, Paris, Classiques Garnier, 1952, p. 143.
[45]. J. Lindon, propos recueillis par P. Assouline, Lire, 02.1988.
[46]. Propos rapportés dans M. Galey, Journal, t. ii, Paris, Grasset, 1989, p. 421.
[47]. B. Pivot, Les Critiques littéraires, Paris, Flammarion, 1968, p. 83-84. Toutes les enquêtes sociologiques sont convergentes sur ce point. Cf., par exemple, M. Béra, Recherches sur la légitimité et les fondements de la critique d’art dans la presse, op. cit., p. 185-186 : « On ne saurait nier que le silence est sans doute l’arme la plus redoutable des critiques et d’une certaine manière aussi le préjudice le plus fort qu’ils puissent causer aux artistes, celui qu’ils craignent le plus (et celui qui les dissuade d’ester en justice). Les critiques le savent et le disent souvent. » Il est à noter, par ailleurs, que certains sites de vente de livres sur internet l’ont parfaitement compris : les internautes sont, en effet, invités à rédiger et à rendre publique sur le réseau mondial une critique des ouvrages en vente de leur choix, qu’elle soit favorable, ou non.
[48]. J. Jurt, La Réception de la littérature par la critique journalistique, p. 42.
[49]. Ibid., p. 47.
[50]. Ainsi A. Robbe-Grillet et J.‑P. Sartre pouvaient avoir une vision totalement opposée de ce que « littéraire » veut dire, comme le rapporte le premier pour lequel l’auteur de Qu’est-ce que la littérature ? définit dans son ouvrage une « non-littérature » (cf. A. Robbe-Grillet, Archives du xxe siècle, film cité).
[51]. J. Jurt, La Réception de la littérature par la critique journalistique, op. cit., p. 47. On retrouve le même type, de manière symétrique, chez J. Dubois, qui statue lui-même sur la littérarité du roman policier, cf. J. Dubois, « Naissance du roman policier », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 60, 1985, p. 47.
[52]. C’est ce biais qui affecte de manière identique le traitement des littératures populaires dont le succès ne peut être que « monstrueux », cf. J. Tortel, cité in A.‑M. Thiesse, « Les infortunes littéraires : carrières de romanciers populaires à la belle époque », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 60, 1985, p. 45.
[53]. R. Escarpit, « Le littéraire et le social », in R. Escarpit (s.l.d.), Le Littéraire et le social, op. cit., p. 34.
[54]. Il en va, par exemple, des satisfactions que N. Sarraute qualifie d’« extra-littéraires », s’agissant des mauvais romans. Cf. N. Sarraute, L’Ère du soupçon, Œuvres complètes, p. 1612. A. Jefferson ajoute que, chez J.‑P. Sartre « la valeur du roman venait justement de ses effets “extra-littéraires” [au sens de N. Sarraute] » (in N. Sarraute, p. 2086). Il y a bien ici une controverse dont l’issue se stabilisera en des structures qui sont à peu près celles qui constituent l’expérience ordinaire des lecteurs plus ou moins cultivés. Pour la question du sens de « littérature », cf. A. Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éd. de Minuit, 1985.
[55]. J. Jurt, La Réception de la littérature par la critique journalistique, op. cit., p. 132.
[56]. Cf. U. Eco, L’Œuvre ouverte, Paris, Le Seuil, « Points », 1979 (1962), p. 11 où l’« œuvre ouverte » est considérée comme « un message doté de larges possibilités interprétatives. » L’introduction de V. Minogue au livre Autour de Nathalie Sarraute qui a fait suite au colloque de Cerisy rabat la pluralité des visions critiques sur la « richesse de l’œuvre » : « L’originalité frappante de l’œuvre sarrautienne la rend évidemment, difficilement classable, d’où sans doute, la très grande hétérogénéité d’interprétations et d’approches. Le langage [...] prit, au fil des interventions, les colorations les plus variées, selon les approches thématiques, poétiques, sociologiques, psychanalytiques ou philosophiques. Il s’ensuivit des débats fort animés mettant en scène, à tour de rôle, une Sarraute névrotique, bien équilibrée, œdipienne, déterministe, optimiste, pessimiste, féministe, androgyne, écrivain abstrait, cruel, comique, terroriste, anti-terroriste, sociologue, Enfant d’Éléphant, poète... [...] Ces pages rassemblées soulignent par leur variété même, le pouvoir interrogatif de l’œuvre sarrautienne. » (V. Minogue (s.l.d.), Autour de Nathalie Sarraute. Actes du colloque international de Cerisy-La-Salle des 9 au 19 juillet 1989, Besançon, Université de Besançon, 1995, p. 18). Cette présentation qui fait de l’œuvre une auberge espagnole a pour principe non de mettre en lumière la cohérence des prises de position mais la cohérence d’une œuvre investie par des herméneutes incohérents. E. Ionesco, de même, se servait souvent d’une mise bord-à-bord des critiques contradictoires pour en neutraliser toute pertinence.
[57]. P. Valéry, cité in P. Junod, « Voir et savoir ou de l’ambiguïté de la critique », Études de lettres, série iv, t. iii, n° 2, 1980, p. 40.
[58]. Même chose chez U. Eco, L’Œuvre ouverte, op. cit., p. 34. Pour une instrumentalisation de la phénoménologie du M. Merleau-Ponty de la Phénoménologie de la perception, cf. p. 32.
[59]. On peut renvoyer aux pages post-kantiennes sur le caractère « culinaire » des œuvres à faible coût d’accès, sans parler de ces ontologies du kitsch où se manifeste, de manière particulièrement complaisante, l’ethnocentrisme intellectualiste, cf. H.R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, 1990 (1974) p. 53. Mais c’est sans doute l’absence de toute analyse empirique qui trahit et compromet la pertinence d’un tel projet. On pourrait d’ailleurs en dire autant des analyses de W. Iser, à la fois très théoriques et très vagues, puisqu’elles ne reposent jamais sur l’examen de prises de position authentiques (cf. W. Iser, L’acte de lecture : théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, Mardaga, 1985). Son concept de « lecteur implicite », comme il le dit lui-même « n’a aucune existence réelle » (p. 70). Une fois de plus, l’auteur se place moins sur le plan descriptif des différentes modalités de la relation littéraire, que sur le plan prescriptif des bonnes manières de modaliser ce rapport : « Ce n’est que lorsque toutes les perspectives du texte sont rassemblées selon un horizon commun de référence que le point de vue du lecteur sera adéquat au texte. » (p. 71). Dans la relation littéraire, le texte est essentiellement considéré comme une victime des lectures. Ainsi, le fait de raconter et de rendre compte d’un texte sont considérés comme autant de « reconstitutions [qui] finissent toujours par détruire le texte » (p. 162).
[60]. Ibid., p. 49.
[61]. Ibid., p. 61.
[62]. U. Eco parle d’une œuvre « inépuisable et ouverte parce qu’ambiguë » : « Toute œuvre d’art, depuis les peintures rupestres jusqu’à La Chartreuse de Parme, est un objet ouvert à une infinité de dégustations » (L’Œuvre ouverte, op. cit., p. 22). C’est l’« infinie complexité », c’est-à-dire la grandeur, des « œuvres ouvertes » qui est chez U. Eco à l’origine de cette polyvalence, justifiée à fonder l’affirmation ethnocentrique selon laquelle il existerait une « supériorité de la culture occidentale au regard des civilisations dites primitives » (p. 43).
[63]. R. Barthes, Critique et vérité, Paris, Le Seuil, 1966, p. 50.
[64]. Disponibles sur le cd-rom Docthèse.
[65]. J. Jurt, La Réception de la littérature par la critique journalistique, op. cit., p. 73.
[66]. Ibid., p. 73.
[67]. Ibid., p. 114.
[68]. Ibid., p. 137.
[69]. Ibid., p. 138.
[70]. Ibid., p. 183.
[71]. Ibid., p. 196.
[72]. Ibid., p. 199.
[73]. Ibid., p. 294.
[74]. Ibid., p. 64.
[75]. Ibid., p. 69. G. Sapiro procède de la même façon en partant d’un sens a priori de ce qui est littéraire ou non, par un effet de réductionnisme intellectualocentriste, d’ailleurs légitime, quand il vient d’un poéticien tel que G. Genette, dont tout le langage de description est morphologiquement centré sur le texte (cf. G. Genette, Seuils, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1987), devient problématique dès lors qu’il est pris pour argent comptant par le sociologue, lequel rend indûment coextensives une définition formaliste de la littérature et la définition de la littérature. Cf. G. Sapiro, « Salut littéraire et littérature du salut », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 111-112, 03.1996, p. 43, p. 44, et particulièrement p. 51 : « Par sa prétention à la littérarité, cet article révèle, a contrario, ses ressorts extra-littéraires. Il se fait d’abord, l’écho, sous forme de pastiche, de l’article “assassin” de Sartre, puisque, sur le plan de la critique proprement littéraire, c’est-à-dire formelle, Drieu s’en tient à réitérer (à défaut de citer) la critique sartrienne de l’omniprésence du narrateur à la première personne. »
[76]. Ibid., p. 314. La caractérisation « extra-littéraire » est considérée chez G. Mauger, et C. Fossé-Poliak, (« Les usages sociaux de la lecture », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 123, 06.1998, p. 7) non pas comme un objet, mais comme un instrument chargé de qualifier certaines pratiques lectorales de certains jeunes lecteurs.
[77]. C’est généralement la mobilisation de catégories éthiques qui entraîne des descriptions sociologiques négatives, car elle est prédisposée à illustrer la privation des catégories esthétiques. Ces effets d’écrasement se retrouvent, sur un autre plan, dans les enquêtes sociologiques qui agrègent dans un artefact statistique des pratiques hétérogènes du type : « 80 % des Français ne vont jamais à l’opéra », ce qui a à peu près autant de sens, c’est-à-dire aucun, du strict point de vue de la description positive, que de dire « 95 % [chiffre fictif] des parisiens n’ont jamais trait une vache », « ne sont jamais allés en Ouzbékistan », etc. Dans l’un comme dans l’autre cas, ce basculement de la négation à la privation est fonction d’un écrasement qui vise à déterminer négativement une absence d’absence de pratique. Le second chiffre est fictif et pour cause, personne n’aurait eu l’idée de poser une question aussi incongrue aux parisiens, mais curieusement, les taux de « non-pratiques » des sondages culturels ne paraissent pas irréels ; c’est qu’ils fonctionnent moins comme des données descriptives que comme des instruments disponibles, par exemple, pour des politiques institutionnelles de diffusion culturelle, ce qui est, par ailleurs, parfaitement légitime.
[78]. N. Heinich, Ce que l’Art fait à la sociologie, Paris, Éd. de Minuit, 1998, p. 62.
[79]. Sur les problèmes épistémologiques posés au sociologue par les effets de théorie des discours de désillusion, cf. A. Hennion, « L’amour de la musique aujourd’hui. Une recherche en cours sur les figures de l’amateur », in A. Darré (s.l.d.), Musique et politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996, p. 48 : « L’une des hypothèses faites est qu’il est possible et nécessaire de “libérer” en partie le discours sur le goût, le plaisir et l’amour de l’amateur de la chape de plomb sous laquelle la sociologie du goût l’a écrasé en dénonçant les émotions comme illusion, habillement d’un jeu social ignoré des acteurs. Il ne s’agit pas ici de critiquer cette forme de sociologie, qui porte sa part de vérité, mais les effets dévastateurs de sa vulgarisation, qui déterminent l’accueil fait au sociologue ; l’amateur se sent tout de suite coupable, soupçonné, il a honte de son plaisir, il décode et anticipe le sens de ce qu’il dit, il s’excuse d’une pratique trop élitiste, il surassume le caractère rituel de ses sorties rock ou de son amour pour l’opéra. Pis, il ne parle plus de ses objets, des gestes, des sentiments qu’il éprouve, des incertitudes qui font tout le drame de la difficile carrière de l’aficionado, il se range lui-même dans les cases qu’il suppose qu’on lui tend. »
[80]. J. Jurt, La Réception de la littérature dans la critique journalistique, op. cit., p. 161.
[81]. Ibid.
[82]. Cf. L. Pinto, Pierre Bourdieu et la Théorie du monde social, Paris, Albin Michel, 1998, p. 14 : « Il n’est pas de connaissance sans une remise en cause d’un fond préalable de croyances : par opposition aux plates certitudes sans contraste et sans histoire, ce qu’apprend un texte rigoureux est d’abord la défiance envers ce que l’on a pu croire. »
[83]. Il n’est bien sûr pas le seul, cf. J. Dubois (« Représentation de Zola chez le public d’aujourd’hui », Europe, n° 468-469, Avril-Mai 1968, p. 257) pour lequel l’accès à É. Zola se présente comme un chemin semé d’embûches mythiques : « Enquêter sur les représentations de Zola dans l’opinion est plus qu’une simple démarche préalable. En lui-même le champ est passionnant à découvrir, car la gloire littéraire d’Émile Zola est de celle où les éléments mythiques foisonnent sans cesse et troublent la réalité des choses. »
[84]. R. Barthes, Mythologies, Paris, Le Seuil, « Points », 1970 (1957). L’auteur semble espérer rendre plus percutante la dénonciation des mythologies littéraires en faisant reposer son énonciation sur une rhétorique de la liste typologique révélatrice de l’arbitraire stéréotypé : à propos de P. Guyotat, cf. D. Oster, Le Passage de Zénon, op. cit., p. 126. C’est aussi dans cette tradition dénonciatoire que s’inscrit explicitement P. Lejeune (« L’image de l’auteur dans les médias », Pratiques, n° 27, 07.1980, p. 36), qui dénonce dans l’écrivain à Apostrophe la « fonction truquée d’un naturel (qui au demeurant peut être authentique) : la personne qui vient à Apostrophe y joue le rôle de l’auteur du livre qu’elle a écrit. Le “naturel” d’Apostrophe n’est pas loin de celui de “l’écrivain en vacances” tel que l’analysait Barthes dans ses Mythologies. »
[85]. D. Oster, Le Passage de Zénon : essai sur l’espace et les croyances littéraires, Paris, Le Seuil, 1983, p. 120. L’approche sociologique de C. Lafarge se donne également pour vocation de défaire les « mythes ». Cf. La Valeur littéraire, figuration littéraire et usages sociaux des fictions, Paris, Le Seuil, 1983.
[86]. Ibid., p. 124 : « Ainsi, à propos de P. Sollers, D. Oster évoque « le nouveau scribe [qui] ne fait ici que s’installer dans l’idéologie utopiste de la coïncidence où se produit l’illusion qu’il n’y a plus d’idéologie ni de justification à donner puisque aussi bien il n’y a plus à donner que de l’immédiat. »
[87]. Cf. le chapitre intitulé « Comment faire croire » où l’auteur tente de déconstruire les dispositifs de légitimation qui servent à assurer la robustesse du message littéraire : « Discours fictionnel et discours critique paraissent donc relever l’un et l’autre d’un métalangage ayant pour but la production des croyances qui fondent toute entreprise littéraire. » (Ibid., p. 148).
[88]. Ibid., p. 24.
[89]. L’exemple paradigmatique de la dénonciation des mythes pouvant être fourni par le célèbre texte de R. Barthes dans Mythologies, op. cit., p. 30-33, sur A. Gide.
[90]. P. Lejeune, « L’image de l’auteur dans les médias », Pratiques, n° 27, 07.1980, p. 33.
[91]. Il s’agit donc de renverser les principes des théories explicatives qui placent les « mythes » et les « croyances » en amont du raisonnement sociologique comme cause d’un processus, et non en aval, comme conséquence objectivée dans des distributions d’énoncés, de théories, de faits historiques vrais ou faux. On reconnaît ici, bien sûr, le renversement méthodologique opéré par l’anthropologie symétrique : « Le principe de symétrie consiste à dire non point que cette asymétrie, qui finit par départager l’échec et le succès, n’existe pas, mais qu’il faut expliquer son élaboration sans la supposer acquise. Il interdit qu’on en appelle, par exemple, à des explications du type : une théorie réussit parce qu’elle est vraie, parce qu’elle est vérifiée par l’expérience ou parce que la méthode est irréprochable. Affirmer qu’il faut expliquer l’échec et le succès dans les mêmes termes, ce n’est pas soutenir contre l’évidence que tout se vaut, et qu’entre une théorie qui a été éliminée et une théorie qui s’est imposée il n’existe aucune différence. C’est une manière frappante de dire qu’il faut expliquer la construction de l’asymétrie, reconstruire toutes les épreuves qui ont peu à peu établi le consensus. » (M. Callon, B. Latour, La Science telle qu’elle se fait, Paris, La Découverte, 1990, p. 24). La méthodologie constructiviste permet donc de rompre avec les descriptions tautologiques qui retrouvent à la sortie (le mythe, la croyance), ce qu’elles ont mis à l’entrée (le mythe, la croyance).
[92]. Y. Michaud a constaté que la dénonciation de l’art comme religion a fonctionné comme un moyen d’intervention privilégié des controversistes de l’Art contemporain, cf. La Crise de l’art contemporain, op. cit., p. 26.
[93]. Ce rabattement est devenu le mode d’intervention critique privilégié dans le monde de la littérature et de l’art. Cf. l’annexe 1 ainsi que l’annexe 2. Les analyses qui suivent, vaudraient également pour la « mise en histoire » (dans le temps) ou la « mise en culture » (dans l’espace) des faits utilisée par les acteurs afin de manifester leur variabilité, et par conséquent, leur vulnérabilité à la transformation.
[94]. J.‑L. Siran, L’Illusion mythique, Le Plessis-Robinson, Synthélabo, 1998, p. 34.
[95]. Ibid., p. 30.
[96]. F. Baldensperger, La Littérature : création, succès, durée, Paris, Flammarion, 1913, p. 6.
[97]. Mais on peut aisément étendre ces réflexions au domaine littéraire.
[98]. Cf., par exemple, G. Mauger, C. Fossé-Poliak, « Les usages sociaux de la lecture », art. cité, p. 23 : « Complément ou substitut de la lecture des textes canoniques, le registre de l’oralité a toujours contribué à sa manière au salut religieux ou politique, avec prédicateurs et sermons, orateurs et meetings, etc. ») On constate donc un isomorphisme des schèmes comparatifs qui pose naturellement problème pour qui se fixe une exigence d’asymétrie entre, d’une part, la dénonciation polémique et, d’autre part, la description sociologique. Encore que certains écrivains font directement référence à cette fonction de substitution de la littérature. Cf. S. de Beauvoir : « Dans mon milieu, je n’étais plus à ma place, et comme je le confondais avec la société tout entière, je ne pouvais recourir qu’à une espèce d’absolu : c’est ce que représentait la littérature pour beaucoup de jeunes de ma génération. J’avais gardé de mon éducation religieuse le mépris de l’argent, de la célébrité, de tous les biens de ce monde : écrire, à mes yeux, c’était une mission, c’était un salut. Ça remplaçait Dieu. » (Les Écrivains en personne, op. cit., entretien du 17.02.1958, p. 40). On retrouve le même type de proposition chez J.‑P. Sartre : « Moi, je l’ai choisi [le métier d’écrivain] parce que je n’avais pas la foi : ça représente bien une sorte de faiblesse [...]. Le chrétien, en principe, ne craint pas la mort parce qu’il faut mourir pour commencer la vie véritable. La vie terrestre est une période d’épreuves pour mériter la grâce céleste. Cela suppose des obligations précises, des rites à observer, il y a des vœux aussi : obéissance, chasteté, pauvreté. Je prenais tout cela, et je transposais tout en terme de littérature : je serai méconnu toute mon existence, mais je mériterais la vie éternelle par mon application à écrire et par ma pureté professionnelle. Ma gloire d’écrivain commencerait le jour de ma mort [...]. La vie littéraire fut calquée, dans mon imagination, sur la vie religieuse. Je ne songeais plus qu’à faire mon salut » (Ibid., p. 275).
[99]. Cf. N. Heinich, La Gloire de Van Gogh, op. cit., p. 220 : « S’il y a bien déplacement de certaines dispositions religieuses sur le monde artistique, il n’y a pas pour autant extension de “la religion” à “l’art”, pas plus qu’identité entre les deux domaines. Preuve en est la dénonciation dont ce déplacement peut faire l’objet, et qui oblige l’analyste à se dégager de toute dimension critique en traitant symétriquement les pratiques communes et les discréditations savantes. Aussi ne s’agit-il pas de “dévoiler” que Van Gogh, ou les artistes en général, sont traités comme des saints : non seulement parce que c’est déjà pour beaucoup une intuition de sens commun et un argument du monde savant, mais aussi parce que ce ne serait que décrire sans le comprendre qu’une partie du phénomène. »
[100]. Ibid., p. 222.
[101]. Ibid.
[102]. Cf. B. Latour, Petite Réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Le Plessis-Robinson, Synthélabo, 1996.
[103]. G. Mauger, C. Fossé-Poliak, « Les usages sociaux de la lecture », art. cité, p. 22.
[104]. Ibid., p. 23.
[105]. Cf. N. Heinich, La Gloire de Van Gogh, op. cit., p. 82 où celle-ci construit les relations entre la religion et l’art non par un rapport de « consubstantialité entre les deux domaines, dont la proximité ne se manifeste que dans certaines conditions historiques — pas plus que d’une simple imitation de l’un (religieux) par l’autre (artistiques). Ni identique ni mimétique, ces deux “natures” sont bien plutôt homologiques : leurs éléments sont liés non par un rapport de superposition, d’engendrement ou même de ressemblance, mais par un modèle ou une matrice commune, qui est au principe d’une identité structurelle. » Voir également son introduction à E. Panofsky, « Galilée critique d’art », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 66-67, 1987, p. 2-3.
[106]. Chez O. Nora, « La visite au grand écrivain », in P. Nora (s.l.d.), Les Lieux de mémoire : la Nation, ii, vol. 3, Paris, Gallimard, 1986, p. 568, la notion de « transfert de sacralité » reprise de M. Ozouf n’est pas vraiment construite.
[107]. Sur le refus de l’ironie dans l’approche anthropologique des apparitions de la vierge, cf. É. Claverie, « La vierge, le désordre, la critique », Terrain, n°14, mars 1990, p. 64.
[108]. Cf. O. Nora évoquant la « visite au grand écrivain » avec des concepts religieux comme la « vocation », le « pèlerinage », le « fétichisme », la « visitation », la « gloire », le « martyre », le « culte laïque du grand écrivain », ibid., p. 563-587.
[109]. Cf. N. Heinich, La Gloire de Van Gogh, op. cit., p. 218.
[110]. Ainsi, comme le remarque N. Heinich, personne ne prie V. Van Gogh.
[111]. Qu’il s’agisse des descriptions sociologiques (par exemple P. Bourdieu, « La production de la croyance : contribution à une économie des biens symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, n°13, 1977 ; numéro des Actes de la recherche en sciences sociales, n° 123, 06.1998, intitulé « Genèse de la croyance littéraires, etc.).
[112]. La capacité des acteurs à faire preuve de scepticisme a motivé le refus d’É. Claverie d’instrumentaliser ses observations au moyen du terme « croyance », cf. « La vierge, le désordre, la critique », art. cité, p. 64. On peut également se reporter aux réflexions de P. Veyne qui relativisent l’implication émotionnelle des personnes dans l’ordinaire des pratiques en traitant le caractère particulièrement multimodal de la notion de croyance, « Conduites sans croyances et œuvres d’art sans spectateurs », Diogène, n° 143, 07-08.1988, p. 3-22. Cf. J. Goody, cité dans P. Veyne, « L’interprétation et l’interprète, à propos des choses de la religion », Enquête, n° 3, 1996, p. 254 : « La croyance ne va jamais sans un certain scepticisme. »
[113]. Le sens que nous proposons de « accréditer », est la conséquence du fait qu’il n’existe pas de mot spécifique pour désigner l’activité de « mettre en croyance ». Dérivé de « crédit », il présente, en outre, l’intérêt d’être lui-même dérivable. Le Robert indique à « accréditer » : « Accréditer quelqu’un, le mettre en crédit. » Ceci est à articuler avec la définition de « crédit » : « Confiance qu’inspire quelqu’un ou quelque chose. [...] Accorder, donner crédit à un bruit, une rumeur, y ajouter foi, y croire. » Nous retrouvons donc en télescopant les deux définitions un concept fonctionnel qu’il est possible de décliner. Ainsi, le geste qui relève du fait d’accréditer (mettre en croyance) est l’accréditation (Le Robert : « Action d’accréditer »). Nous n’emploierons jamais le mot « accréditer » et ses dérivés au sens de « rendre croyable, plausible » mais au sens de « rendre justiciable d’une pratique croyante ».
[114]. Ceci ne se vérifie pas dans le cas des usages explicitement religieux qui valorisent la « croyance » comme mode de contact privilégié avec Dieu.
[115]. A. Furetière, Dictionnaire, article « croire ».
[116]. Ibid., article « croyance ».
[117]. Dictionnaire Robert de la langue française, article « croire. »
[118]. Cf. Pour un exemple de dénonciation du « culte de l’art », cf. P. Bourdieu, Les Règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992.
[119]. Cf. A. Piette, Les Religiosités séculières, Paris, puf, coll. « Que sais-je ? », 1993 et « Hybridité, circulation, transmission. Réflexions autour des religiosités séculières », Recherches sociologiques, 3, 1997.
[120]. Ce n’est que récemment que le mot est devenu péjoratif. Cf. É. G. Léonard, article « Secte », Histoire générale du protestantisme, Paris, puf, 1980 (1961), t. i.
[121]. Ibid., p. 79.
[122]. Ibid., p. 71.
[123]. Ibid., p. 138. Sur l’indignité lectorale, on peut lire des propositions de même type chez J. Dubois (« Représentation de Zola chez un public d’aujourd’hui », Europe, Avril-Mai 1968, p. 265) : « Il est hors de doute que l’imagination de Zola, sa démesure créatrice, son génie de la structuration narrative, sa poésie sont autant de portes fermées à l’ensemble de notre groupe [composé majoritairement d’employés et d’ouvriers], lecteurs et non-lecteurs. Sont-ils incapables d’éprouver ces qualités ou seulement d’en prendre conscience ou plus simplement de les formuler ? »
[124]. Les diagrammes de P. Bourdieu sur les « biens symboliques » de cycle long sont imprégnés de ce que l’on peut considérer comme un inconscient épistémologique diffusionniste. Cf. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 225.
[125]. Cité in Y. Lancrey, Michel Butor ou la résistance, Paris, J.-C. Lattès, 1994, p. 188.
[126]. Cf. B. Latour, Le Métier de chercheur, regard d’un anthropologue, Paris, inra, 1996, p. 20. Pour une analyse de la notion de « diffusion », cf. I. Stengers, Cosmopolitiques, La Guerre des sciences, t. i, Paris, La Découverte, 1997, p. 48.
[127]. Cf. B. Latour, La Science en action, Paris, La Découverte, 1989, p. 220-221 : « Quand un fait n’entraîne pas l’adhésion, quand une innovation n’est pas reprise, quand une théorie est utilisée dans un but complètement différent de son but original, le modèle de diffusion se contente de dire que “certains groupes résistent”. Après avoir inventé le “découvreur génial qui a des idées”, le modèle de diffusion va maintenant inventer ce monstre symétrique : un milieu, une société qui n’accepte ses idées qu’avec plus ou moins de difficulté. [...] Plus la société résiste, plus formidable est leur génie. » Cf., également, s’agissant des objets techniques, B. Latour, Aramis, ou l’amour des techniques, Paris, La Découverte, 1992, p. 104 : « Dans [le modèle de diffusion], l’idée de départ sort toute casquée de la cuisse de Jupiter. Ensuite, soit que son inventeur génial lui donne une impulsion, soit qu’elle ait été dotée dès le début d’une force automatique et autonome, la voilà qui se diffuse à travers le monde. Mais le monde ne la reçoit pas toujours. Certains groupes, aveuglés par leurs intérêts mesquins ou fermés au progrès technique, jalousent cette idée si belle. Ils la dégradent, la pervertissent, la compromettent. Parfois, ils la mettent à mort. Dans certains cas miraculeux, pourtant, l’idée survit et continue à cheminer, petite flamme fragile qui brille dans les cœurs. Enfin, aidée par quelques individus courageux ouverts au progrès technique, la voici qu’elle finit par triompher [...], couvrant ainsi de honte ceux qui n’avaient su ni la reconnaître, ni l’accueillir en eux. [...] Récit religieux bien sûr, récit protestant, récit cathare. » Voir également, R. Chartier, « Textes, imprimés, lectures », in M. Poulain (s.l.d.), Lire en France aujourd’hui, op. cit., p. 28.
[128]. Cf. P. Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., p. 204.
[129]. Il ne s’agit pas tant de critiquer la légitimité de cet usage tactique d’un schème diffusionniste, que d’examiner pourquoi il n’est pas possible d’instrumentaliser une observation avec des métaphores exigeant programmatiquement un récit héroïsant. Pour d’autres exemples de discours du retard, cf. l’annexe 3 et l’annexe 4.
[130]. N. Sarraute, propos rapportés par C. Mauriac, Le Temps Immobile, t. vi, Paris, Grasset, 1989, p. 111.
[131]. Il faudrait ajouter : que rend possible la rente. C’est en effet le statut de rentier qui permettait à un G. Flaubert de ne pas écrire pour de l’argent : « Mais quant à gagner de l’argent non, non, et à en gagner avec ma plume jamais ! jamais ! (G. Flaubert, Correspondance, t. i, op. cit., Lettre à L. Colet du 16.[08.1845], p. 467).
[132]. J. Ricardou, « Le Nouveau Roman est-il mort ? », Les Nouvelles littéraires, 04-10.03.1974.
[133]. Sur le glissement méritocratique assurant la transformation de l’activité en postérité par projection de l’épreuve du travail (de l’auteur) sur la résistance (des textes) à l’épreuve du temps, cf. N. Sarraute, « Nouveau Roman et réalité », Revue de l’Institut de sociologie de Bruxelles, 1963.
[134]. Ses ouvrages édités aux Éditions de Minuit, éditeur dont l’espérance de vie des livres sont généralement très longs ne figure plus au catalogue. Il va de soi que nous manquons de recul. Pour un exemple de lâchage public de J. Ricardou par A. Robbe-Grillet (« C’était un stalinien, un fou »), ainsi que par N. Sarraute (« Ricardou est dangereux pour le lecteur, pas pour l’écrivain »), cf. P. Romon, « Révolution à New York : le Nouveau Roman », Libération, 12.10.1982 qui conclut : « Tous se sont accordés pour dénoncer le terrorisme ricardolien. »
[135]. Sur la diminution progressive des chiffres de vente de compositeurs du xxe siècle. Cf. P.‑M. Menger, Le Paradoxe du musicien, op. cit., p. 329 : « L’action conjuguée des organismes qui soutiennent les éditeurs phonographiques dans cette opération permet d’élever le niveau des premières ventes au-delà des seuils observés [...] dès qu’il est privé des béquilles publicitaires et administratives, c’est-à-dire que le soutien va aux disques qui lui succèdent dans la collection, l’enregistrement se heurte aux limites habituelles de ce marché des musique savantes nouvelles et tombe très vite dans l’oubli. [...] hormis Messiaen, à peu près aucun compositeur “sérieux” vivant ne connaît au disque de carrière comparable à celle des auteurs littéraires contemporains les plus estimés, reconnus tout à la fois par leurs pairs et par un public plus large que celui de la création musicale. » (Mais voilà que, la musique techno apparaît, mettant au goût du jour les recherches électroacoustiques les plus pointues...) Sur la disparition progressive des œuvres de K. Stockhausen au catalogue de Deutsche Grammophon, cf. K. Stockhausen, propos recueillis par P. Gervasoni, « Les nouvelles aventures musicales et cosmiques de Karlheinz Stockhausen », Le Monde, 23.03.1998.
[136]. An. cité dans B. Duteurtre, Requiem pour une avant-garde, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 154.
[137]. G. Leonhardt, interview, Répertoire, n° 114, 06.1998.
[138]. C. Millet, citée dans Y. Michaud, La Crise de l’art contemporain, op. cit., p. 54.
[139]. Cf. F. Haskell, La Norme et le caprice, Paris, Flammarion, 1986 (1980). Pour une critique de cette problématisation en terme de stratification des publics, cf. N. Heinich, Le Triple Jeu de l’art contemporain, op. cit., p. 251.
[140]. C. Oriol-Boyer, Nouveau Roman et discours critique, Grenoble, Ellug, 1990, p. 26.
[141]. C. Oriol-Boyer, Nouveau Roman et discours critique, op. cit., p. 26.
[142]. Ibid., p. 31. Tous ces éléments sont en partie inexacts.
[143]. Ceci caractérise toutes les études de réception de N. Sarraute où prolifèrent les jugements de valeur. Cf. l’exemple de l’édition commentée d’Enfance de M. Gosselin, Enfance de Nathalie Sarraute, Paris, Gallimard, 1996. Cf. l’annexe 5.
[144]. Ibid., p. 32.
[145]. Ibid., p. 43.
[146]. C’est l’auteur qui souligne.
[147]. Ibid., p. 125.
[148]. Ibid., p. 54.
[149]. Ibid., p. 81.
[150]. Ibid., p. 44.
[151]. Ibid., p. 38.
[152]. Ibid., p. 80.
[153]. C’est également par le recours stratégique à la « résistance » que P. Dagen peut tenter de rabattre les rejets de l’art contemporain, cf. La Haine de l’art, op. cit., passim.
[154]. C. Oriol-Boyer, Nouveau Roman et discours critique, op. cit., p. 37.
[155]. Ibid., p. 45.
[156]. Ibid., p. 48.
[157]. Il n’est pas déraisonnable de penser que la probabilité d’exercer une sociologie des valeurs visant la neutralité est d’autant plus grande que l’observateur se tient éloigné de toute posture intellectuelle ou professorale. Cette hypothèse sociologique n’est en rien polémique, dans la mesure où il s’agit simplement de comprendre pourquoi l’émergence d’une posture a-critique en sociologie des valeurs doit être subordonnée à l’abandon de tout réflexe intellectualiste ou professoral. Il ne s’agit en aucun cas de dénoncer les intellectuels et les professeurs, mais de comprendre que l’exercice d’une sociologie des valeurs ne peut s’exercer que dans un exercice contrôlé des présupposés professoraux ou intellectuels, qui font écran à la compréhension des choses.
[158]. S. Bell, « The conjurer’s hat : Sarraute criticism since 1980 », Romance Studies, n° 23, Printemps 1994, p. 90.
[159]. Ibid.
[160]. Ibid., p. 93.
[161]. N. Heinich, Les Rejets de l’art contemporain, Ministère de la Culture, dap, 1995, p. 128.
[162]. V. Woolf, De la Lecture et de la critique, op. cit., p. 97. Les étoiles décernées dans la presse jugeant la qualité des cd se retrouvent sous formes d’autocollants sur les titres, faisant passer la prise de position à l’argument de vente objectivé dans une marque distinctive qui singularise un produit particulièrement vulnérable à l’équivalence qu’est le disque. Le nombre d’autocollants permet en outre d’augmenter considérablement l’espérance de vie d’un cd, ce qui a des effets aussi importants que les guides pour les restaurants gastronomiques. Certaines marques, telles Naxos, éditant même des catalogues de cd où sont mentionnées les distinctions de la presse musicale. La France se distingue par le nombre de ses distinctions et de prix, notes (sous la forme d’étoiles ou équivalent), puisque l’on décerne, en 1997, seulement 1 distinction en Belgique, au Brésil, en Suisse, au Japon, en Norvège, 2 distinctions en Espagne et aux Pays-Bas, 4 en Grande Bretagne, en Allemagne et aux États-Unis, 7 en Italie. La France arrive largement en tête avec 14 distinctions différentes possibles. Un décompte de ces différentes distinctions obtenues par les cd de l’éditeur phonographique emi en 1997 (n=1044) fait apparaître que 70 % des distinctions décernées dans le monde entier l’ont été par une institution française (n=710), le reste se partageant entre la Grande-Bretagne (14 %), l’Allemagne (6 %), tous les autres pays se situant au-dessous de 3 %. Ces données permettent de formuler l’hypothèse d’une emprise de la note, de la distinction et de la place dans l’évaluation des biens culturels. (Source : catalogue international emi, 1997). Ceci peut aussi se retrouver dans le domaine politique. Ainsi, le débat télévisé entre les deux candidats à la Présidence de la République en 1995 a fait l’objet dans Infomatin d’une étude détaillée où chaque élément retenu comme pertinent (gestuelle, langage, visage, etc.) fait l’objet pour chaque candidat d’une note de zéro à vingt. Cf. C. Fitoussi, « Look, conviction, gestuelle, ils sont dans un mouchoir », Infomatin, 03.05.1995.
[163]. Cf. M. Baxandall, L’Œil du quattrocento, trad., Paris, Gallimard, 1985.
[164]. Cf. J. Leenhardt, P. Józsa, Lire la Lecture : essais de sociologie de la lecture, Paris, Le Sycomore, 1982.
[165]. Nos sources sont composées, pour l’essentiel, d’articles de périodiques de toutes sortes, du petit journal de province au grand quotidien national en passant par hebdomadaires grand public, aux publications professionnelles, les revues intellectuelles mensuelles, soit une gamme particulièrement diversifiée de supports. On s’est limité, pour l’essentiel, aux articles parus en France, même si nous n’avons pas hésité à avoir recours à des articles parus à l’étranger dès lors qu’ils pouvaient présenter un intérêt. L’éditeur Gallimard laisse à la disposition de tous les chercheurs ses archives de presse. Ces archives sont fabriquées par des agences privées de collecte qui ont pour tâche de prélever des archives dans la presse et dans les périodiques. Ces dossiers de presse, réalisées de manière plus ou moins artisanales dans les années 1950, sont devenus l’objet d’une attention particulière depuis les années 1980, faisant l’objet de soins particulièrement minutieux. Quelques interviews radiodiffusées sont également transcrites. Les coupures de presse sont stockées par titre d’ouvrage dans des classeurs. Ce sont ces archives qui rendent, pour une bonne part, possible l’investigation sociologique. On a également utilisé, outre le département des périodiques de la Bibliothèque Nationale de France, les archives audiovisuelles et sonores de l’Inathèque de France, de la Vidéothèque de Paris, de la Bibliothèque Publique d’Information, de la Bibliothèque François Mitterrand.
[166]. Les enquêtes de sociologie de la culture sont d’une redondance telle qu’il est extrêmement aisé de faire le portrait idéal-typique de l’amateur de N. Sarraute : urbain plutôt que rural, parisien, plutôt que provincial, diplômé plutôt que non diplômé, etc. Ces éléments renvoient à des acquis tellement évidents de la sociologie de la culture qu’il n’est pour ainsi dire par besoin d’y faire référence. Comme l’écrit N. Heinich, dans le domaine des arts plastiques, « en sociologie, peu significatives sont les tentatives pour étudier directement la perception des œuvres d’art plastique, en dégageant des tendances récurrentes corrélées à des caractéristiques socio-démographiques. » (Le Triple Jeu de l’art contemporain, op. cit., p. 184).
[167]. Ce type de questionnement relève, en effet, aussi bien de l’analyse sociologique que de l’enquête marketing qui s’est réappropriée certains instruments d’observation issus des sciences humaines. En France, les études de réception quantitatives se sont développées de manière considérable, tout particulièrement dans le domaine télévisuel (mais aussi dans le domaine du livre avec l’apparition des listes de best sellers) où l’irruption des chaînes privées a généralisé et systématisé la mesure très précise de l’audience, de telle sorte qu’il est possible de savoir minute par minute qui regarde quoi. C’est donc aussi parce que l’analyse qualitative des prises de position critique est un terrain laissé vacant, qu’il est nécessaire de s’en emparer sans plus tarder.
[168]. Cette démarche a été initiée par N. Heinich dans La Gloire de Van Gogh (op. cit., p. 19) : « On pourrait, par exemple, expliquer ces prises de position par le contexte culturel des articles ou les caractéristiques de leurs auteurs : position, origine sociales, opinions politiques et religieuses, type d’éducation. Étudiant selon la méthode de Pierre Bourdieu, le “champ” de la critique de l’époque, on mettrait en évidence, et la subjectivité des opinions politiques (contre la prétention des discours à la transparence envers l’objet), et leur détermination par des forces objectives échappant aux individus et extérieures aux objets du jugement (contre la prétention à une autonomie du goût). Cet exercice de “relativisme réductionniste” serait toutefois peu pertinent quant à notre objet, dès lors que celui-ci n’est pas tant le principe de distribution des jugements concernant Van Gogh (qui a dit quoi ?), que les raisons pour lesquelles il y a eu à son sujet des discours si nombreux (pourquoi a-t-on dit quelque chose ?) et si bien acceptés (comment a pu se recevoir ce qui a été dit ?) ».
[169]. J. Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Paris, Thot, 1984 (1891).
[170]. « Ceux-ci signalent que l’interrogé ne résiste pas au plaisir de voir “son nom et ses faits et gestes imprimés dans un journal” (P. Larousse, Grand Larousse Universel du xixe siècle, 2e supplément, 1890, cité par D. Grojnowski in J. Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, op. cit., p. 14).
[171]. A. Robbe-Grillet, st, Le Magazine littéraire, 06.1983. N. Sarraute reconnaît tout de même en 1977 que « l’engouement est retombé » (cf. N. Sarraute, propos recueillis par J.L. Hess, « Nathalie Sarraute talks about her newest novel », The New York Times Book Review, 07.07.1977).
[172]. Cf. J. Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, op. cit., p. 170. On peut se reporter également aux analyses de B. Morrissette : « Les mouvements modernes qui choquent les moralistes traditionnels refusent de mourir : le symbolisme, dada, le surréalisme, le nouveau roman : tous pas morts » (« Le procès du Nouveau Roman », Les Nouvelles littéraires, 09.06.1966).
[173]. A. Robbe-Grillet, st, Le Magazine littéraire, 06.1983. N. Sarraute reconnaît tout de même en 1977 que « l’engouement est retombé » (cf. N. Sarraute, propos recueillis par J.L. Hess, « Nathalie Sarraute talks about her newest novel », The New York Times Book Review, 07.07.1977).
[174]. K. Haedens, « Deux romanciers malades du cancer des tropismes », Candide, 02-09.05.1963.
[175]. R.‑M. Albérès, « Le procès du Nouveau Roman », Les Nouvelles littéraires, 09.06.1966.
[176]. J. Ricardou, « Le Nouveau Roman est-il mort ? », Les Nouvelles littéraires, 04-10.03.1974.
[177]. P. de Boisdeffre, « Crise de la civilisation, mise en question du roman, avenir de la littérature narrative », Les Nouvelles littéraires, 04-10.03.1974.
[178]. C. Prévost, « Roman, politique, histoire », L’Humanité, 15.11.1976.
[179]. C. Charrière, « Nathalie Sarraute : Valéry au vitriol », Le Figaro, 03.03.1986.
[180]. J.‑L. Ézine, « Qui a tué le Nouveau Roman ? », Le Nouvel Observateur, 19-25.05.1994.
[181]. A. Robbe-Grillet cité dans P. Romon, « Révolution à New York : le Nouveau Roman », Libération, 12.10.1982. N. Sarraute y rencontre vraiment pour la première fois C. Simon et R. Pinget » (cf. N. Sarraute, propos recueillis par M. Pardina, « Un entretien avec Nathalie Sarraute », Le Monde, 26.02.1993).
[182]. A. Robbe-Grillet, Les Derniers Jours de Corinthe, Paris, Éd. de Minuit, 1994, p. 84. Il est à noter que la table des matières détaillée rend l’ouvrage particulièrement vulnérable à l’usage historique. Cette disponibilité à la mise en récit historique a une fonction matricielle puisqu’elle permet l’instrumentalisation de l’autobiographie à faire histoire sans qu’on puisse dire qu’elle est finalisée par cela.
[183]. J. Lindon, propos recueillis par P. Assouline, Lire, 02.1988.
[184]. Pour une étude concrète des facteurs d’incertitude dans la mise au point d’une opinion dans le cas d’une commission d’achat d’un Fond Régional d’Art Contemporain, cf. N. Heinich, « Expertise publique de l’art contemporain : les critères d’achat dans un frac », Sociologie du travail, n° 2, 1997.
[185]. A. Robbe-Grillet, propos recueillis par A. Villelaur, « Le roman est en train de réfléchir sur lui-même », Les Lettres françaises, 12.03.1959.
[186]. J. Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, op. cit., p. 164.
[187]. P. Alexis, ibid., p. 174.
[188]. Ibid., p. 175.
[189]. H. Céard, ibid., p. 176.
[190]. J. Lemaître, p. 39.
[191]. G. Dumur, « Un nouveau mythe : le nouveau roman », France Observateur, 09.03.1961.
[192]. F. Antoine, « Revue des revues », Europe, 10-11.1958.
[193]. M. Galey dans « Le procès du Nouveau Roman », Les Nouvelles littéraires, 09.06.1966.
[194]. A. Robbe-Grillet, Archives du xxe siècle, film cité. Sur le rôle primordial de l’éditeur, cf. R. Pinget dans P. Fisson, « Où va le roman ? : une enquête de Pierre Fisson », Le Figaro littéraire, 29.09.1962.
[195]. J. Lindon, « Littérature dégagée », New Morality, ii, 2-3, hiver-printemps 1962.
[196]. N. Sarraute, propos recueillis par J. Duchateau, « Panorama », France Culture, 13.03.1986.
[197]. Cf. A. Simonin, Les Éditions de Minuit, op. cit., p. 455 : A. Simonin, parlant d’A. Robbe-Grillet note que « son rôle d’écrivain ne se borne pas à écrire des livres et à enregistrer l’accueil de la critique : il n’exclut pas de la susciter. Ultra-présent, il écoute, collabore, donne son avis, transmet les bruits et fureurs que suscitent certaines initiatives de son — vénéré — éditeur. »
[198]. N. Sarraute, propos recueillis par A. Tremblay, st, New York Times, 06.1983. A. Simonin, Les Éditions de minuit, op. cit., p. 470, va dans le même sens : « Tout le monde sait que le nom de cette “école” et sa théorie furent construits a posteriori par Alain Robbe-Grillet, Roland Barthes et Jérôme Lindon. »
[199]. N. Sarraute, propos recueillis par B. Knapp, « Document : interview avec Nathalie Sarraute », Kentucky Romance Quarterly, xiv, 1, 1967.
[200]. N. Sarraute, dans Témoins : Nathalie Sarraute, Film d’I. de Vigan, télédiffusé le 15.07.1984, sur fr3.
[201]. Cf. J. Lindon, propos recueillis par P. Assouline, Lire, 02.1988.
[202]. A. Robbe-Grillet, propos recueillis par J.‑L. Ézine, « Un entretien avec Alain Robbe-Grillet : “Nous étions des terroristes” », Le Nouvel Observateur, 18-24.09.1997. sur la généralisation de l’instrumentalisation de photographie pour le lancement des mouvements littéraires, cf. P. Lejeune, « L’image de l’auteur dans les médias, « Pratiques, n° 27, 07.1980, p. 32.
[203]. J. Ricardou, « Le Nouveau Roman est-il mort ? », Les Nouvelles littéraires, 04-10.03.1974.
[204]. M. Rybalka, « Le Nouveau roman à New York », Le Monde, 22.10.1982.
[205]. J.‑F. Josselin, « Le nouveau roman, qu’en reste-t-il ? », Le Figaro, 18.09.1989.
[206]. J.‑L. Ézine, « Qui a tué le Nouveau Roman ? », Le Nouvel Observateur, 19-25.05.1994. Les mêmes types de propos ont été tenus par P. Lepape, « Le feuilleton Pour une poésie du savoir », Le Monde, 19.03.1993.
[207]. G. Dumur, « Un nouveau mythe : le nouveau roman », France Observateur, 09.03.1961.
[208]. F. Divoire mettait la revue aux nombre des armes pour s’imposer en littérature : « La façon la plus simple de s’imposer dans la vie littéraire est de fonder une revue. » (F. Divoire, Introduction à l’étude de la stratégie littéraire, op. cit., p. 27).
[209]. J. Garcin, « Quoi de neuf ? Le Nouveau Roman ! », Le Nouvel Observateur, 18-24.09.1997.
[210]. Pour des développement théoriques plus importants, cf. N. Heinich, La Gloire de Van Gogh, op. cit. ; « L’amour de l’art en régime de singularité », art. cité. ; ainsi que « Façons d’“être” écrivain : l’identité professionnelle en régime de singularité », Revue française de sociologie, xxxvi, 1995.
[211]. Pour une explicitation de ces deux identités, cf. N. Elias, La Société des individus, op. cit.
[212]. A. Breton dans M. Chapsal, Les Écrivains en personne, op. cit., p. 77.
[213]. J. Busnel, « Portrait d’une inconnue : Nathalie Sarraute », Le Magazine littéraire, 01.1967.
[214]. On retrouve le même phénomène de raréfaction des groupes dans le monde de l’art où triomphent les valeurs d’individualité, cf. C. Millet, L’Art contemporain, op. cit., p. 65. Cf. les déclarations très hostiles aux groupes littéraires de l’éditeur P. Otchakovsky Laurens (pol) : « L’auteur comme unique politique » propos recueillis par D. Garcia, Livres Hebdo, 275, 09.01.1998 : « Les groupes constitués ne sont que des groupes constitués, cela n’a rien à voir avec la littérature. » Même chose à l’Olivier : « Les écrivains sont des personnes singulières qui écrivent des livres. Un point c’est tout. [...] Refaire le coup de la Nouvelle Vague. Pourquoi pas ? Mais ça n’a aucun rapport avec la littérature. [...] Les écrivains ne perdent pas leur temps à faire des mouvements littéraires [...]. [Les mouvements littéraires sont] des machines de prise de pouvoir intellectuel [...]. À l’Olivier, j’ai toujours lutté contre l’idée d’école » (O. Cohen, « Au pied de l’Olivier », propos recueillis par D. Garcia, Livres Hebdo, 279, 06.02.1998).
[215]. N. Sarraute, propos recueillis par D. Sallenave, « À voix nue », France Culture, 23.03-27.03.1992.
[216]. A. Robbe-Grillet, « Le réalisme, la psychologie et l’avenir du roman », Critique, n° 111-112, 08-09.1956, p. 695-701.
[217]. A. Robbe-Grillet, Les Derniers Jours de Corinthe, Paris, Éd. de Minuit, 1994, p. 84.
[218]. Achevé d’imprimer le 02.12.1957.
[219]. Il est impossible d’étudier tous ces phénomènes dans le détail puisque la Bibliothèque Nationale ne conserve généralement que la première impression et non les suivantes même avec des variations. Cette édition de La Modification ne figure donc pas dans les catalogues de la bn.
[220]. M. Le Bot, « Nouveau Roman », Europe, 11-12.1959. Il est d’ailleurs extraordinaire de voir que les dénonciateurs herméneutes du « nouveau roman » ne se rendent pas compte à quel point ils s’engouffrent dans la disponibilité à l’herméneutique comparatiste qu’avait ouverte et permise le rapprochement d’A. Robbe-Grillet de N. Sarraute. Dernier exemple en date N. Wolf, Une Littérature sans histoire : essai sur le Nouveau Roman, Paris, Droz, 1995.
[221]. An., « Nathalie Sarraute : Les Fruits d’or », Indications, [1963].
[222]. M. Nadeau, compte rendu de Portrait d’un inconnu, L’Observateur, 07.03.1957.
[223]. M. Galey, « Les sentiers de Nathalie Sarraute », L’Express, 29.04-05.05.1968. On retrouve le même type de circulation entre les deux auteurs dans M. Chavardis, « “Vous les entendez ?” de Nathalie Sarraute, “Je t’appellerai Amérique” de Célia Bertin », Hebdo tc, 09.03.1972 ; A. Clavel, « Nathalie à la poursuite de Natacha », Les Nouvelles littéraires, 19-25.05.1983.
[224]. L. Guissard, « Nathalie Sarraute : Entre la Vie et la Mort : Robert Pinget : Le Libera », La Croix, 19.08.1968.
[225]. Cf. A. Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éd. de Minuit, 1985.
[226]. A. Simonin, « La littérature saisie par l’histoire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 111-112, Mars 1996, p. 69.
[227]. J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, Le Seuil, « Points », 1991 (1962).
[228]. Au sens défini par L. Boltanski, L’Amour et la justice comme compétences : trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié, 1990.
[229]. A. Robbe-Grillet, Pour un nouveau Roman, Paris, Éd. de Minuit, 1986 (1963), p. 25-26.
[230].Citation de P. Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 202.
[231]. A. Simonin, « La littérature saisie par l’histoire », art. cité, p. 68.
[232]. Pour un exemple de valorisation de la « gloire », cf. E. Zilsel, Le Génie : histoire d’une notion de l’antiquité à la Renaissance, Paris, 1993 (1926), Les Éd. de Minuit, p. 63-66.
[233]. Ainsi A. Robbe-Grillet pouvait concilier « objectif » (au sens de tourner vers l’objet) et « subjectif » (au sens où c’est une conscience qui perçoit ces objets). Cf. A. Robbe-Grillet, Archives du xxe siècle, et A. Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, Paris, Éd. de Minuit, 1961, ainsi que « Le nouveau cinéma et le nouveau roman », Les Lettres françaises, 18-24.08.1960.
[234]. A. Robbe-Grillet, « Les Français lisent trop », L’Express, 06.12.1955.
[235]. A. Robbe-Grillet, cité dans J.H. Matthews, « Un nouveau roman ? », La Revue des lettres modernes, 94-99, 04.1964.
[236]. Pour des détails chiffrés, cf. O. Galland, Les Étudiants, Paris, La Découverte, 1996.
[237]. J. Lindon, propos recueillis par J. Montabelti, « Quinze ans de nouveau roman », Magazine littéraire, 04.1967.
[238]. Pour une analyse des mécanismes de contrôle du temps et de l’anticipation comme ressource de l’expertise des œuvres, cf. N. Heinich, « Expertise publique de l’art contemporain : les critères d’achat dans un frac », art. cité, p. 196.
[239]. Marc, x, 31.
[240]. A. Simonin part du même constat que le nôtre sans le prolonger dans toutes ses conséquences, puisqu’elle conserve la notion d’autonomie : « [...] les principaux animateurs ont recherché la consécration d’une critique savante avant de se préoccuper de la grande presse et d’espérer des tirages importants. » (A. Simonin, Les Éditions de Minuit, 1942-1955, op. cit., p. 456).
[241]. Il ne faudrait mobiliser des explications en terme d’irrationalité ou d’absurdité qu’en désespoir de cause.
[242]. Du moins « en apparence », s’empresse-t-elle d’ajouter, en donnant des explicitations qui n’emportent pas du tout la conviction.(Cf. p. 68).
[243]. P. Stapfer, Dernières Variations sur mes vieux thèmes, Paris, Fischbacher, 1914, p. 15.
[244]. N. Sarraute, propos recueillis par J. Claude-Daven, « Jean-Paul Sartre préface Nathalie Sarraute : un anti-roman », Tribune de Lausanne, 03.02.1957.
[245]. N. Sarraute, propos recueillis par O. de Magny, Archives du xxe siècle, film cité.
[246]. Le sens technique de l’expression renvoie aux dispositifs de mise à disposition des lecteurs de l’ouvrage. Cf. le responsable des éditions Seghers, P. Fournel, « Vendre et acheter », in L. Gauvin, J.‑M. Klinkenberg, (s.l.d.), Écrivain cherche lecteur, op. cit., p. 208.
[247]. Cette critique était en effet une priorité. Cf. A. Simonin, Les Éditions de Minuit, op. cit., p. 456.
[248]. A. Billy, « Quelque chose bouge du côté du roman », Le Figaro littéraire, 27.10.1956.
[249]. A. Billy, « Qu’attendre des nouveaux venus ? Les cloches de la littérature. Pédologie et pédollogie », Le Figaro littéraire, 06.10.1956.
[250]. A. Billy, « Quelque chose bouge du côté du roman », Le Figaro littéraire, 27.10.1956.
[251]. A. de Wissant parlait des « chapelles en “iste” » en tant qu’elles étaient capables de « démoder leur confrères » dans A. de Wissant, « Le Planétarium de Nathalie Sarraute ; Un Pas d’homme de Marie Susini ; Le Nombre d’or de Nora Coste », Sud Ouest, 08.09.1959.
[252]. F. Nourissier, « Révolutionnaires dans le roman ? Cinq écrivains aux prises », Le Figaro littéraire, 29.03.1958.
[253]. R. Kanters et P. Fisson dans P. Fisson, « Où va le roman ? : une enquête de Pierre Fisson », Le Figaro littéraire, 03.11.1962.
[254]. F. Mauriac, st, L’Express, 04.06.1959.
[255]. C. Charle, La Crise littéraire à l’époque du naturalisme, Paris, Presses de l’École Normale Supérieure, 1979, p. 18.
[256]. Cf. l’annexe 6.
[257]. Cf. l’annexe 7.
[258]. N. Sarraute s’est toujours dite éloignée de l’existentialisme, en fait par défaut de connaissance, comme elle l’a toujours dit elle-même, puisque si elle faisait de l’existentialisme, c’était « sans le savoir ». Cf. N. Sarraute, propos recueillis par G. d’Aubarède, « Instantané Nathalie Sarraute », Les Nouvelles littéraires, 30.07.1953.
[259]. B. Latour, Les Microbes guerre et paix, suivi de Irréductions, Paris, Métailié, 1984, p. 58. Cf. également sa proposition 1.2.5.1. (p. 184) : « Le temps est la résultante lointaine des acteurs qui cherchent, chacun pour son compte, à créer le fait accompli et qu’on ne puisse revenir dessus. [...] Alors, en effet, le temps passe. »
[260]. N. Sarraute, « Pourquoi des formes nouvelles en littérature ? : le romancier recherche une réalité inconnue », Le Monde, 21.09.1963. Cf. pour des propos identiques N. Sarraute, L’Ère du soupçon, Œuvres complètes, p. 1555.
[261]. Ibid., p. 1555, p. 1607. On retrouve cette référence à l’irréversibilité à de nombreuses autres reprises. Cf., entre autres, « Roman et réalité », p. 1649.
[262]. N. Sarraute, propos recueillis par G. Le Clec’h, « Entretien avec Nathalie Sarraute : drames microscopiques », Les Nouvelles littéraires, 28.02-05.03.1972.
[263]. N. Sarraute, « Tolstoï », Les Lettres françaises, 22.09.1960.
[264]. Cf. B. Latour, Les Microbes guerre et paix, op. cit., p. 59 : « Ils périodisent à tour de bras les acteurs. Ils se donnent des périodes, les suppriment et les déplacent, répartissant les responsabilités et distribuant les « réactionnaires », les « modernes », les « avant-gardes », les « prématurés » aussi bien que les historiens, ni mieux ni moins bien. [...] On devrait demander à l’histoire d’abandonner ses « périodes » et ses « temps mûrs » et ses « grandes coupures » [...], au lieu d’expliquer le déplacement des acteurs par des temps et des dates, on expliquerait enfin, la fabrication du temps lui-même, à partir des traductions des acteurs. »
[265]. N. Sarraute, L’Ère du soupçon, Œuvres complètes, p. 1588.
[266]. Sur la récurrence de l’attitude de refus et de négation dans les mouvements d’« avant-garde », cf. l’article d’A. Marino, C. Napoca, in J. Weisgerber (s.l.d.), Les Avant-gardes littéraires au xxe siècle, Budapest, Akademiai Kiado, 1984, t. i.
[267]. N. Sarraute, interview d’O. de Magny, Archives du xxe siècle, film cité.
[268]. Ces structures temporelles ne sont pas transhistoriques, comme nous le montre N. Elias, Du Temps, Paris, Fayard, 1996 (1984), p. 160.
[269]. Cf. J. Delumeau, Le Péché et la peur, op. cit., p. 259.
[270]. R. Mortier, L’Originalité : une nouvelle catégorie esthétique au siècle des Lumières, Genève, Droz, 1982, p. 11.
[271]. Cf. E. Huguet, Dictionnaire de la langue française du xvie siècle.
[272]. Nous reprenons la thèse de J. Delumeau, La Peur en Occident, Paris, Fayard, « Le livre de poche-Pluriel », 1980 (1978), p. 65, 72.
[273]. Cf. B. Pascal, Préface pour le traité du vide, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 529-535.
[274]. On retrouve aujourd’hui ce sens péjoratif dans l’expression « nouveau riche. »
[275]. Cf. F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous les dialectes, du ixe siècle au xve siècle, Paris, Didier, 1961 ; Dictionnaire historique de la langue française, Robert, 1992.
[276]. Cf. Sur la structure mythique de l’impératif de nouveauté, M. Eliade, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, « Folio-Essais », 1991 (1971), p. 163 : « ... le millénarisme eschatologique et l’attente du Paradis terrestre ont fini par être radicalement sécularisés. Le mythe du progrès et le culte de la nouveauté et de la jeunesse en sont les résultats les plus probables. [...] La “nouveauté” qui fascine de nos jours encore les Américains, est un désir à structure religieuse. Dans la “nouveauté” on espère une renaissance, on attend une vie nouvelle. New England, New York, New Haven — tous ces noms n’expriment pas seulement la nostalgie du pays natal abandonné, mis surtout l’espoir que dans ces terres et ces villes nouvelles la vie est susceptible de révéler d’autres dimensions ». Dans l’après- guerre, innombrables les mouvements qui se nommés « nouveaux » (nouvelle vague, nouvelle histoire, nouvelle critique, nouvelle cuisine, nouveau réalisme, etc.)
[277]. P. Forest, Histoire de Tel Quel, op. cit., p. 58. On peut également renvoyer au « nouveau nouveau roman » qu’avait voulu initier J. Ricardou.
[278]. Ibid., p. 31.
[279]. N. Sarraute, « Les voix de l’avant-garde », Chaîne nationale, 15.07.1959 : « Je cherche à écrire au présent. »
[280]. J.‑P. Vernant, « Aspects mythiques de la mémoire », Journal de psychologie normale et pathologique, 1959, p. 4, repris in J.‑P. Vernant et P. Vidal-Naquet, La Grèce ancienne : 2. L’espace et le temps, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1991.
[281]. Cf. P. Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Le Seuil, « Points », 1992 (1983), p. 34.
[282]. Cf. Le mouvement de F.T. Marinetti qui s’est désigné par référence directe au futur : les futuristes (cf. A. Marino, C. Napoca, in J. Weisgerber (s.l.d.), Les Avant-gardes littéraires au xxe siècle, art. cité, p. 633 sq, F.T. Marinetti, Manifestes du Futurisme, trad. fr., Paris, Séguier, 1996). Pour A. Robbe-Grillet, les œuvres ne sont importantes qu’en tant qu’elles sont « grosses d’un avenir » (A. Robbe-Grillet, « Il écrit comme Stendhal », L’Express, 25.10.1955). Cf. bien sûr A. Robbe-Grillet, « Une voie pour le roman futur », in Pour un Nouveau Roman, Paris, Éd. de Minuit, 1963. Voir également l’enthousiasme de M. Butor à propos de l’édition électronique des livres et la disparition prochaine du codex. Cf. J.‑P. Barou, « Rencontre Butor et les machines à lire », Le Monde, 11.12.1993.
[283]. Cf. identiquement, R. Pinget dans P. Fisson, « Où va le roman ? : une enquête de Pierre Fisson », Le Figaro littéraire, 29.09.1962 : « [...] le passé ne nous intéresse pas [...] le futur nous fait peur et [...] nous voulons vivre au présent. »
[284]. Cf. A. Robbe-Grillet, « Réalisme et révolution », L’Express, 08.01.1956 : « Il n’y a plus que quelques inconscients pour croire à un possible retour en arrière. »
[285]. Contre les effets réalistes de cette expression, cf. N. Elias, Du Temps, op. cit.
[286]. Cf. M. Serres, Éclaircissements : entretiens avec B. Latour, Paris, 1994 (1992), Flammarion (« Champs »), p. 93 : « On confond généralement le temps et la mesure du temps. »
[287]. P. Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Éd. de Minuit, 1980, p. 336.
[288]. P. Bourdieu, Algérie 60 : structures économiques et structures temporelles, Paris, Éd. de Minuit, 1977, p. 41.
[289]. Ibid., p. 19-44.
[290]. Au sein du village kabyle, « l’ordre social est avant toute chose un rythme, un tempo. Se conformer à l’ordre social, c’est primordialement respecter les rythmes, suivre la mesure, ne pas aller à contre temps. Appartenir au groupe, c’est avoir au même moment du jour et de l’année le même comportement que tous les autres membres du groupe. Adopter des rythmes insolites, c’est déjà s’exclure du groupe. [...] Le respect des rythmes temporels est en effet un des impératif fondamentaux de cette éthique de la conformité » (ibid., p. 41).
[291]. Qu’il s’agisse de l’expérience religieuse du chrétien, ou des valeurs politiques de l’Allemagne nazie ou encore de tous les gestes « archaïques » selon M. Eliade, Aspects du mythe, op. cit., p. 208 ; Le Mythe de l’éternel retour, Paris, Gallimard, « Folio-Essais », (1991), 1969, passim.
[292]. Selon l’expression de N. Heinich (Être Artiste, op. cit., p. 51) qui retrouve, selon d’autres voies « l’éthique de conformité », (qu’elle oppose à « l’éthique de rareté » qui caractérise le nouveau paradigme artistique) que P. Bourdieu indexait étroitement aux caractéristiques des structures temporelles.
[293]. Cf. A. Robbe-Grillet, propos recueillis par A. Villelaur, « Le roman est en train de réfléchir sur lui-même », Les Lettres françaises, 12.03.1959 : « C’est d’ailleurs pour cela que l’art continue d’exister ; l’art doit être perpétuellement en rupture avec l’art qui le précède immédiatement. »
[294]. N. Sarraute, propos recueillis par D. Sallenave, « À voix nue », France Culture, 23.03-27.03.1992. Dans le reste de l’entretien, D. Sallenave n’arrivera pas à imposer à N. Sarraute sa critériologie scolaire et humaniste, valorisant, en particulier, l’étude, la rigueur, la logique, la langue écrite, etc.
[295]. N. Sarraute, « New movements in French literature : Nathalie Sarraute explains tropisms », The Listener, 09.03.1961.
[296]. Ibid.
[297]. Cité in P.-M. Menger, Le Paradoxe du musicien, op. cit., p. 333.
[298]. Ceci est analogue à ce que à la vision anachronique et décalée que H. de Balzac pouvait se faire du jeune N. Poussin dans Le Chef-d’œuvre inconnu, lequel construisait « une mythologie moderne et typiquement romantique de l’art » (p. 80). C’est dans la même perspective que N. Heinich que nous parlons des anachronisme de N. Sarraute, « non pas pour la satisfaction mesquine de relever des “erreurs” (comme un examinateur le ferait dans une copie d’histoire) mais pour comprendre à travers eux [...] la logique de construction d’une imagerie. » (N. Heinich, « Le chef-d’œuvre inconnu, ou l’artiste investi », in T. Chabanne, (s.l.d.), Autour du Chef-d’Œuvre inconnu de Balzac, Paris, ensad, 1985).
[299]. La réticence au « progrès » se retrouve dans l’univers philosophique prédisposé à rejeter toute « réduction historiciste ». Voir les analyses de J.‑L. Fabiani, « Controverses scientifiques, controverses philosophiques », Enquête, n° 5, 1997, p. 23. Mais le refus de progrès est particulièrement récurrent chez beaucoup d’écrivains, de C. Baudelaire (cf., par exemple, Fusées. Mon Cœur mis à nu. La Belgique déshabillée, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1975-1986, p. 79 : « Quoi de plus absurde que le progrès ? ») à M. Proust (Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 220 : « En art il n’y a pas (au moins dans le sens scientifique) d’initiateur, de précurseur. Tout [est] dans l’individu, chaque individu recommence pour son compte, la tentative artistique ou littéraire ; et les œuvres de ses prédécesseurs ne constituent pas, comme dans la science, une vérité acquise dont profite celui qui suit. Un écrivain de génie aujourd’hui a tout à refaire. Il n’est pas beaucoup plus avancé qu’Homère. »)
[300]. Cf. R. Mortier, L’Originalité : une nouvelle catégorie esthétique au siècle des Lumières, op. cit.
[301]. N. Sarraute, « Les deux réalités », Esprit, 7, 07.1964.
[302]. H. Rosenberg, La Tradition du nouveau, Paris, Les Éd. de Minuit, 1998 (1962). Même chose dans N. Sarraute, « Pourquoi des formes nouvelles en littérature ? : le romancier recherche une réalité inconnue », Le Monde, 21.09.1963.
[303]. À ce sujet, on peut se reporter aux réflexions de statistique évolutionniste appliquées aux conséquences de l’éthique de l’innovation de S. Jay Gould, L’Éventail du vivant, Paris, Le Seuil, 1997 (1996), p. 280.
[304]. J. Lindon, propos recueillis par J. Montabelti, « Quinze ans de nouveau roman », Magazine littéraire, 04.1967.
[305]. N. Sarraute, propos recueillis par J.‑F. Kervéan, « Nathalie Sarraute : pour les cinquante ans du nouveau roman, une rencontre exclusive », Globe, 12.1989.
[306]. N. Sarraute, « Forme et contenu du roman », Œuvres complètes, p. 1678.
[307]. A. Robbe-Grillet, cité dans P. Daix, « Balzac et le nouveau roman », Les Lettres françaises, 10.03.1960 ; « Pourquoi la mort du roman ? », L’Express, 03.11.1955.
[308]. Sur la diminution de la force structurante des références traditionnelles au xxe siècle, cf. E. Hobsbawm, « Inventing tradition », Enquête, n° 2, 1995, p. 186.
[309]. Pour une « comparaison » (des guillemets s’imposent puisque l’« articité », comme dit G. Genette, de la littérature est en débat) avec le monde de l’art, cf. R. Moulin, L’Artiste, l’institution, le marché, Paris, Flammarion, 1992, p. 45 : « Du terme “contemporain” il n’existe pas en l’état actuel du champ artistique, de définition générique [...] La production des artistes vivants n’est pas nécessairement tenue pour contemporaine et ce qui se passe pour tel à Clermont-Ferrand n’est pas ainsi reconnu à Düsseldorf ou à New-York. Le label “contemporain” est un label international qui constitue un des enjeux majeurs, en permanente réévaluation, de la compétition artistique. » Même chose pour A. Robbe-Grillet qui utilise le mot « contemporain » comme label de qualité : « Parmi les cent volumes nouveaux parus cet automne, quelques uns portent cet avenir en ont droit, seuls, au titre de “littérature contemporaine”. » (A. Robbe-Grillet, « Il écrit comme Stendhal », L’Express, 25.10.1955).
[310]. Ce sens neutre est attesté aussi bien dans le Furetière, que dans l’Encyclopédie ou le Littré.
[311]. Cf. Dictionnaire historique de la langue française.
[312]. C’est l’exemple du Furetière à l’article contemporain.
[313]. Les programmateurs de musique contemporaine (sens classificatoire) ont déployé des trésors d’ingéniosité substitutive pour éviter de dénommer ainsi la musique : musique nouvelle, musiques d’aujourd’hui, musique actuelles, musiques vivantes, musique innovantes, musique fraîches, etc. Cf. P. Gervasoni, « Les compositeurs contemporains en mal de reconnaissance », Le Monde, 05.02.1997.
[314]. C. Millet, L’Art contemporain, Paris, Flammarion, 1997, p. 7.
[315]. Cf. l’usage qu’en fait G. Picon, « Le roman et son avenir », Mercure de France, 09.1956.
[316]. Pour une observation de l’usage de l’expression « art contemporain » comme genre, cf. N. Heinich, « Expertise publique de l’art contemporain : les critères d’achat dans un frac », art. cité, p. 199, ainsi que Le Triple Jeu de l’art contemporain, op. cit., p. 10, 66.
[317]. Cf. G. Gadoffre, « Où en est l’avant-garde ? », La Quinzaine littéraire, 16.09.1970.
[318]. A. Robbe-Grillet, « Il écrit comme Stendhal », L’Express, 25.10.1955.
[319]. Ibid.
[320]. De même, P. Sollers tentera de faire vieillir le « nouveau roman » en ne parlant de lui, à partir de 1964, qu’au passé. Cf. P. Forest, Histoire de Tel Quel, op. cit., p. 174.
[321]. N. Sarraute, « Forme et contenu du roman », Œuvres complètes, p. 1669.
[322]. N. Sarraute, « Speaking of books for its own sake », The New York Times Book Review, 24.04.1966. Cf. également « Ce que je cherche à faire », Œuvres complètes, p. 1695. Même chose dans « Forme et contenu du roman », ibid., p. 1664.
[323]. Pour une genèse de la notion, cf. M. Fumaroli, « La République des Lettres », Diogène, n° 143, 1988, p. 131-150.
[324]. Par opposition, le temps des sociétés archaïques est chez M. Eliade entièrement réversible. Cf. M. Eliade, Le Mythe de l’éternel retour, op. cit., p. 107.
[325]. Voir le propos de l’éditeur O. Cohen, à l’Olivier : « L’Ère du soupçon dont parlait Nathalie Sarraute semble révolue. » (« Au pied de l’Olivier », propos recueillis par D. Garcia, Livres Hebdo, 279, 06.02.1998).
[326]. Sur cette question, cf. N. Elias, Du Temps, op. cit.